Les élections législatives anticipées organisées le 4 septembre au Québec pourraient signer la fin des neuf années au pouvoir du Premier ministre Jean Charest (photo). Les indépendantistes du Parti québécois sont donnés favoris.
À la veille des législatives anticipées au Québec, Jean Charest apparaît en mauvaise posture. Un sondage publié le 2 septembre place le parti du Premier ministre de la Belle Province, le Parti libéral québécois (PLQ), en troisième position du scrutin, avec seulement 27 % des intentions de vote, derrière le Parti québécois (PQ) et la Coalition Avenir Québec (CAQ). Après neuf années passées à la tête du gouvernement québécois, le bilan de Jean Charest est terni par les gigantesques manifestations d’étudiants qui se sont déroulées à Montréal, dont la dernière, le 23 août, a attiré plus de 10 000 manifestants. Ceux-ci protestent depuis le mois de février contre la hausse des frais de scolarité.
C’est pourtant Charest lui-même qui, pariant sur un ras-le-bol de la population face au mouvement étudiant, a convoqué, le 1er août, des élections anticipées, un an avant le terme légal de son troisième mandat. Un pari risqué, alors que près de 70 % des Québécois se disent insatisfaits de l’actuel gouvernement.
C'est qu'à en croire le Premier ministre, l’avenir politique du Québec ne tient qu'à un seul choix : lui ou le chaos. "Le changement, c’est quoi ? Aller vers le référendum de madame [Pauline] Marois [la candidate du PQ qui prône la tenue d'un scrutin sur l'indépendance du Québec, NDLR] ou les chicanes que propose Monsieur [François] Legault [le candidat du CAQ] ?", s’est-il interrogé dans une interview accordée à la fin du mois d'août à Radio-Canada. "La stabilité politique, c’est la stabilité économique", a-t-il poursuivi, brandissant la relative résistance du Québec à la crise économique que traverse le reste du Canada. Aux yeux de l’éditorialiste du quotidien La Presse, Pierre-Paul Noreau, le bilan économique de Jean Charest est indéniablement son point fort. Mais "il faut prendre acte de la perte de confiance des électeurs à l'égard du cabinet libéral. La mauvaise gestion de la crise étudiante est venue cristalliser une insatisfaction alimentée par une attitude trop laxiste en matière d'éthique et d'intégrité", affirme-t-il.
Charest miné par les allégations de corruption
En la matière, Jean Charest traîne un certain nombre de casseroles. Son gouvernement est, notamment, soupçonné d’être impliqué dans diverses affaires de corruption liées à l’octroi de contrats publics. Les médias québécois rapportent des cas d’intimidations et de collusions entre les administrations québécoises et le crime organisé, évoquant notamment le "roi du bâtiment" montréalais, Tony Accurso, arrêté en août denier. Sous la pression des institutions et de l’opposition, une commission d’enquête, la Commission Charbonneau, a été formée en octobre 2011. Elle doit reprendre ses travaux le 17 septembre, soit deux semaines après les élections. Un agenda qui laisse plus d’un observateur politique perplexe. Certains vont en effet jusqu’à affirmer que la date du scrutin a été fixée au début de septembre dans le but d’éviter que les premières conclusions de la commission, attendues à l’automne, réduisent à néant les chances du PLQ aux élections.
itLa lutte contre la corruption, c'est en revanche le cheval de bataille que s'est choisi la Coalition Avenir Québec, une toute nouvelle formation politique dont le numéro un, François Legault, est un ex du Parti québécois. La CAQ prône ainsi la mise en branle d'un "grand ménage" pour "relancer le Québec". Dans cette perspective, elle compte dans ses rangs un soutien en or : celui de Jacques Duchesneau, l'ancien directeur de l’unité anti-collusion de la police québécoise, réputé incorruptible. De quoi faire grimper les estimations de vote chez les Québécois, lassés des scandales politiques à répétition...
Reste que le passé militant de François Legault au sein du PQ joue contre lui : il a tardé à se positionner sur l'indépendance de la province, que le PQ défend ardemment. Un sujet que celui-ci tente de faire oublier tant il divise les Québécois, en affirmant que cette question est une "vieille bataille" dont "personne ne parle dans les autobus à Montréal". Promettant de mettre de côté la question d’un référendum sur le statut constitutionnel du Québec pendant 10 ans, il entend élever le débat au-delà de cette seule question : "Depuis 30 ans, on parle de souverainisme contre fédéralisme. Là, il faut qu’on parle d’autre chose", a-t-il assuré au cours d’une interview à Radio-Canada. Il promet donc "une réduction des impôts de 1 000 dollars [canadiens] par ménage", "un milliard de dollars pour les écoles", "un médecin de famille pour tous" - le Québec souffre d’un manque de médecins -, ainsi qu’une "révision du régime d’assurances médicaments".
L’indépendance au cœur de la campagne
Malgré les tentatives de François Legault, la question de l’indépendance s’est toutefois bel et bien imposée en thème phare de la campagne électorale, laissant à l'arrière-plan le débat sur l’augmentation des frais de scolarité. Pauline Marois, chef de fil du PQ, réputée pour son caractère affirmé, a beau avoir promis d’abolir l’importante hausse des frais de scolarité décidée par Jean Charest, elle a particulièrement insisté, au cours de sa campagne, sur l'importance d'un "Québec libre et indépendant". Elle s’est même engagée, sous la pression de l’aile radicale de son parti, à organiser un "référendum d’initiative populaire" sur l’indépendance si 15 % des électeurs en signaient la demande. Des déclarations qui ont déclenché une vague d’inquiétude dans le Canada anglophone. "Les électeurs québécois devraient se demander lequel des trois principaux partis serait le plus susceptible de faire avancer leurs intérêts économiques à long terme et lequel aurait le plus tendance à les empêtrer davantage dans les opinions politiques identitaires", écrivait ainsi le Globe and Mail dans son édition du 1er septembre.
Pour l’heure, même si Pauline Marois devient Premier ministre du Québec, l’indépendance semble encore bien loin. Selon un récent sondage, seul un Québécois sur trois est prêt à voter la sécession… À deux reprises déjà, en 1980 et en 1995, les partisans d’un Québec indépendant se sont heurtés au "Non" des Québécois sur la question. Créditée de 33 % des intentions de vote, le PQ risque en outre de ne pas atteindre la majorité au Parlement.