logo

Paroles de jeunes Tibétains nés en exil

envoyé spécial à Dharamsala – Alors que des dignitaires tibétains sont réunis à Dharamsala pour parler d'une éventuelle radicalisation de leur lutte, FRANCE 24 donne la parole à de jeunes Tibétains nés en Inde qui rêvent de reconquérir un pays qu'ils ne connaissent pas.

Il est assis par terre, sur le trottoir, face au temple de la rue principale de Dharamsala. Verre de thé à la main et baladeur MP3 dernier cri aux oreilles, il prend le soleil, regard lointain… Il semble ne prêter aucune attention au spectacle des moines en toge rouge qui, juste de l’autre côté de la rue, font tourner les moulins à prière en longeant l’édifice sacré.

Voyant qu’on le regarde, il sourit, ôte ses écouteurs, et nous invite à partager son thé et son bout de trottoir. "Je pensais à l’exil", dit-il d’emblée, devinant notre question. Son nom est Khenrab Palden, il a 26 ans, et la question de l’exil non seulement le concerne à titre personnel, mais nourrit aussi son œuvre. Car Khenrab est cinéaste. Ses parents ont fui le Tibet avant sa naissance, explique-t-il. Ils sont arrivés en Inde sans argent. Mais grâce à l’aide de la communauté, ils ont réussi à monter un petit commerce, et ont si bien réussi dans les affaires qu’ils ont pu envoyer leur fils étudier aux Etats-Unis.

Khenrab Palden, jeune cinéaste tibétain.

Dans le Massachussetts, Khenrab a étudié l’anthropologie, l’histoire des religions, et le cinéma. "Je me sens 60% Tibétain, 20% Indien, 20% Américain. Mon pays sera celui où je pourrai gagner ma vie. Les Tibétains sont comme les juifs chassés de leur pays par Hitler. Leur exode en a fait des artistes, photographes, musiciens, réalisateurs… Je pense que dans vingt ans, les Tibétains seront eux-aussi un peuple d’artistes." Il commande un autre thé, et poursuit : "Je suis revenu ici pour préparer mon nouveau film. Pas un documentaire, mais une fiction, qui parlera de l’image du Tibet qu’on peut avoir quand on est un jeune Tibétain, né en Inde ou ailleurs, et qui n’a jamais vu son pays. C’est compliqué pour nous. C’est à la fois une terre promise, on s’imagine des paysages magnifiques, un endroit où tout le monde vit dans la paix et l’harmonie. Mais aussi un pays dangereux, où la liberté n’existe pas, où les Chinois vous tuent et vous emprisonnent. Tous les jeunes Tibétains en exil sont partagés entre ces deux visions, l’une magnifique et l’autre horrible, du Tibet."

La vieille garde et la nouvelle génération

Parmi tous les jeunes Tibétains que nous avons rencontrés à Dharamsala, un seul a connu le Tibet. Wangdui, 32 ans, a vécu là-bas avec ses parents fermiers, et ses frères et sœurs, jusqu’à l’âge de 12 ans. "J’ai assez peu de souvenirs, seulement les paysages, et les bœufs de mon père." Son histoire est proprement sidérante. Un jour, à Lhassa, le petit garçon se retrouve par hasard dans une manifestation autonomiste. Ce jour-là, tous les manifestants sont arrêtés. Les enfants sont rendus à leurs parents, mais restent étroitement surveillés par la police chinoise. Pour protéger le reste de la famille, les parents de Wangdui doivent se résoudre à l’envoyer en Inde avec un groupe de réfugiés, et depuis 18 ans maintenant, il n’a aucune nouvelle de sa famille. "Bien sûr, j’aimerais savoir comment ils vont, mais si je leur écris, ils seront surveillés par le gouvernement, alors je préfère ne pas le faire."

Au premier plan, Wangdui, séparé de sa famille à 12 ans.

La conférence qui a lieu en ce moment ? "Cest très important. Avec mes amis on ne parle que de ça. J’aimerais qu’il y ait un résultat concret, je suis pour l’indépendance du Tibet. Et je voudrais voir le Tibet libre dans cette vie-là."

C’est sans doute la différence principale entre l’ancienne et la nouvelle génération : voir le Tibet libre dans cette vie-là, pas dans la prochaine. C’est aussi ce que dit Khenrab, le cinéaste. "Nous, les jeunes, on veut des résultats immédiats. La voie moyenne parle de paix dans le monde. Mais les jeunes trouvent ça trop lent, trop rêveur, trop théorique. Nous, la paix dans le monde, on trouve ça bien, mais on veut parler de ce qui nous concerne, de ce qui nous appartient, chez nous, au Tibet."

Nouveau combat, nouveaux outils

La jeunesse tibétaine est impatiente. Pas question de prendre les armes, certes. Mais s’organiser, prendre en main son avenir, militer. Et surtout, utiliser cet exil, qu’ils n’ont pas choisi, cette diaspora tibétaine présente sur tous les continents, pour toucher les opinions publiques internationales. "La liberté du Tibet ne dépend pas seulement du Dalaï-Lama", explique Sonam Dorjee, 28 ans, badge représentant Che Guevara au revers de la veste, et membre du Tibetan Youth Congress, une organisation indépendantiste très active. "C’est une question qui concerne le monde entier. Le Tibet n’a jamais été chinois, et nous sommes nombreux à être prêts à consacrer notre vie à combattre cette injustice. Ce qu’on va faire ? Faire honte à vos pays, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Etats-Unis. Ce sont eux qui permettent nos souffrances, pour préserver leurs relations avec la Chine."

Sonam Dorjee, 28 ans, activiste.

Pour mobiliser l’opinion internationale, ces jeunes Tibétains vivant au fin fond de la montagne indienne ont une arme de poids : Internet. De leur village, où l’on trouve un cybercafé tous les 20 mètres, ils communiquent, créent des sites, et même des télévisions en ligne. Sur tibetonlinetv.net, on peut voir en temps réel et de partout dans le monde les débats actuellement en cours à Dharamsala. Namla Tsering, 30 ans, soutient quant à lui le projet kalontripa.org, initié le 25 octobre. "C’est un forum pour les Tibétains du monde entier. Le but est de trouver le plus de candidats possibles pour les élections au poste de Premier ministre de 2011. Sur le site, chaque candidat doit donner son opinion sur les revendications tibétaines : indépendance totale ou simple autonomie, et sur les relations Tibet-Chine. Ensuite, tous ceux qui auront obtenu 25 soutiens pourront se présenter à des pré-élections en ligne, d’où émergeront les candidats les plus sérieux." Les jeunes Tibétains sont en train d’inventer leur démocratie.

L’appel à la communauté internationale

Mais parmi les 551 représentants admis à l’intérieur de la salle de conférence, la plupart sont de hauts dignitaires, plutôt âgés, et bien peu d’entre eux partagent les opinions radicales de la jeunesse. "Les plus âgés confondent politique et religion", dit Sonam Dorjee. Nous croisons l’un de ces rares délégués radicaux en la personne d’un jeune moine répondant au nom paradoxal de Vénérable Bagdro. Sourire aux lèvres, il distribue le livre qu’il vient d’écrire à la sortie de la salle de conférence. "La plupart des autres délégués sont modérés. Ils prônent une simple autonomie culturelle. Mais la jeune génération réclame de plus en plus fortement l’indépendance totale, et je fais valoir ce point de vue dans la conférence."

Vénérable Bagdro distribuant le livre dans lequel il raconte sa détention.

Vénérable Bagdro est jeune, il approche la quarantaine, peut-être, on n’ose pas demander son âge exact à un vénérable. Mais il a déjà vécu le pire. De 1988 à 1991, il a été emprisonné et torturé par les Chinois. Il parviendra finalement à rejoindre la France, où il passera un an à l’hôpital, sous la protection attentive de Danielle Mitterrand. "Je défends l’idée de porter plainte auprès des tribunaux internationaux pour chaque injustice commise contre les Tibétains. D’ailleurs, c’est ce que j’ai déjà fait à titre personnel. En juin, j’ai porté plainte auprès d’un tribunal espagnol contre Hu Jintao, pour les tortures que j’ai subies. C’est ça que je raconte dans mon livre." Et Vénérable Bagdro nous quitte sur ces mots, avec un grand sourire, pour rejoindre la salle de conférence, conscient d’être porteur, en ce jour historique, des rêves de Wangdui, Khenrab, Sonam et les autres.