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En sortant d'un long silence de trois mois pour critiquer la politique diplomatique de François Hollande, Nicolas Sarkozy s'est rappelé au bon souvenir des médias... et s'est attiré les foudres d'une partie de la presse et de la majorité.

Il n’aura pas tenu trois mois, constate, incisif, le Huffington Post, dans sa version française. Nicolas Sarkozy, qui avait annoncé son retrait de la scène politique – et médiatique – après sa défaite à la dernière élection présidentielle, n’a pas résisté, mercredi, à l’idée de venir mettre son grain de sel dans le dossier syrien. Il a fait savoir qu’il s’était longuement entretenu, mardi 7 août, avec le président du Conseil national syrien, le kurde Abdel Basset Sayda. Dans un communiqué commun, les deux hommes ont "constaté la complète convergence de leurs analyses sur la gravité de la crise syrienne et sur la nécessité d’une action rapide la communauté internationale pour éviter des massacres". Pour Nicolas Sarkozy, il existe en Syrie de "grandes similitudes avec la crise libyenne", crise dans laquelle la France s’était impliquée en prenant, en mars 2011, la tête d’une coalition occidentale. En creux, et sans grande discrétion, l’ex-président tacle durement la politique de son successeur François Hollande. Depuis, si la presse internationale est restée relativement indifférente à l’événement, les médias, les réseaux sociaux et le monde politique français se déchaînent sur ce que d’aucuns interprètent comme un "retour en politique" de l’ancien président.

Le communiqué de Nicolas Sarkozy, qui se voulait sobre et laconique, n’a pas manqué d’agacer prodigieusement le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Dans une interview accordée jeudi au Parisien, il s’est dit, sur un ton mi-méprisant mi-irrité, "étonné que M. Sarkozy souhaite susciter une polémique sur un sujet aussi grave, alors qu’on attendrait autre chose de la part d’un ancien président", avant de marteler que non, la France ne restait pas les bras croisés devant le drame syrien. La France, qui a pris la présidence du Conseil de sécurité de l'ONU au 1er août, a d'ailleurs convoqué une réunion ministérielle consacrée à la Syrie à l'ONU, le 30 août . De son côté, la première secrétaire du Parti socialiste, Martine Aubry, a qualifié d’ "irresponsables" les déclarations de l’ex-président. "Cette campagne est médiocre car elle utilise à des fins bassement politiciennes les souffrances du peuple syrien qui lutte pour sa liberté et contre la tyrannie", a-t-elle dénoncé dans un communiqué. Et d’ajouter, après avoir rappelé qu’en 2010, Nicolas Sarkozy avait reçu Bachar al-Assad "avec tous les honneurs" : "le gouvernement de François Hollande est à la pointe de la solidarité avec le peuple syrien".

"Le véritable objectif de Sarkozy n’est pas Damas mais Paris"

Dans la presse, jeudi 9 août, nombre d’éditorialistes s’insurgent de la sortie diplomatique de Nicolas Sarkozy. "Quel numéro de De Gaulle à la petite semaine !, s’emporte ainsi Maurice Ulrich, de l’Humanité. Un retrait de la vie politique suivi d’un retour en homme providentiel, plus, en chef de guerre. Nicolas Sarkozy dresse un parallèle entre la Syrie et la Libye, ce qui est un mensonge éhonté. […] Le chef de l’État battu est comme un gamin jouant avec le feu près d’un baril de poudre pour se faire remarquer". Et de conclure : "son véritable objectif n’est pas Damas mais Paris". Une analyse que partage Alexandre Phalippou, du Huffington Post : "Il y a fort à parier que ce n'est pas un hasard si l'ancien président a choisi le terrain international pour revenir sur le devant de la scène, écrit-il. C'est en effet sur ces thèmes que son bilan était le meilleur aux yeux des Français. Beaucoup plus, en tout cas, que sur ses actions de politique intérieure."

Les journalistes s’étouffent devant les "similitudes" relevées par l’ancien président entre la situation en Syrie et celle de la Libye sous Kadhafi. "Nicolas Sarkozy dénonce une contre-vérité […]", assure Daniel Ruiz, de La Montagne. "Sans doute cherche-t-il ainsi à faire oublier que s’il n’avait pas aussi outrageusement pris des libertés avec la résolution du Conseil de sécurité sur l’intervention en Libye, les Russes seraient aujourd’hui moins crispés sur la défense du boucher Assad, glisse l’éditorialiste, un brin sournois. Car les deux scénarios, pour tragiques qu’ils soient, n’ont que peu de points communs". Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères socialiste interrogé par France 2, s’est dit "frappé" par l’analogie entre la Syrie et la Libye faite par Nicolas Sarkozy. "Aujourd’hui, on ne peut pas parler de communauté internationale puisque la Chine et la Russie, qui en font partie, sont opposées à cette intervention", a-t-il souligné avant de poursuivre : "si la France devait agir aujourd'hui, ce serait seule sans la Grande-Bretagne, seule sans résolution du Conseil de sécurité. C'est une question à poser à Nicolas Sarkozy : on se retrouverait dans la même situation que George Bush en Irak en 2003". Une catastrophe, donc.

Nadine Morano en première ligne

Face à l’indignation de la majorité, l’opposition fait bloc. L’indéfectible sarkozyste Nadine Morano a – sans surprise – été l’une des premières à défendre son mentor sur Twitter, en opposant maladroitement les vacances de François Hollande à celles de Nicolas Sarkozy, ce dernier restant selon elle "toujours actif à s’intéresser au dossier syrien comme en 2008 pour la Géorgie" (sic). Puis, elle s’est fendue d’un bon mot aux allures de pamphlet : "Sarkozy, un hyperprésident c’était mieux pour la France qu’un hypoprésident". La vieille garde sarkozienne est elle aussi montée au créneau, à l’exemple de Brice Hortefeux, ex-ministre de l’Intérieur qui, jeudi sur RTL, qui a loué "l’action forte [de Sarkozy] en Libye, l’action forte en Côte d’ivoire, l’action forte en Géorgie". Selon lui, seul importe pour Nicolas Sarkozy "le respect des droits de l’Homme qui sont bafoués".

Pierre Rousselin, dans les colonnes du Figaro, tente lui aussi, tant bien que mal, d’expliquer la soudaine réapparition de Nicolas Sarkozy. "Le sentiment d’impuissance [en Syrie] est à son comble", estime-t-il, concédant toutefois "que la Syrie n’est pas la Libye", et que "les enjeux régionaux sont jugés tels, cette fois-ci, qu’une intervention militaire a été exclue". "Mais [cela] n’enlève rien à la frustration générale ressentie tant d’impuissance, poursuit-il. Nicolas Sarkozy s’en est fait l’écho, en rappelant le rôle qui fut le sien en Libye. […] À défaut de solution magique, il faudrait au moins tout faire pour éviter que Bachar al-Assad n’entraîne durablement son pays dans sa chute". "Pour Nicolas Sarkozy, il faut agir", assure la député UMP Nathalie Kosciusko-Morizet. Et une internaute de conclure : "après l’hyper présidence, l’hyper ex-présidence".