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Législatives : les Libyens se sont rendus aux urnes pour un scrutin historique

, envoyée spéciale à Tripoli – Près de neuf mois après la mort de Mouammar Kadhafi et plus de 40 ans de dictature, les Libyens élisaient samedi les 200 membres d'une Assemblée constituante. Un scrutin historique placé sous haute tension.

Samedi 7 juillet, les Libyens ont tourné la page de plus de 40 années de dictature de Mouammar Kadhafi, se rendant en masse aux urnes pour la première élection législative libre dans le pays. Quelque 2,7 millions d’électeurs étaient appelés à choisir les 200 membres d’une Assemblée constituante chargée d’assurer la transition démocratique du pays.

Selon les autorités, 94% de l'ensemble des bureaux fonctionnaient normalement à la mi-journée. Le scrutin a néanmoins été entaché par de nombreux incidents qui ont causé la fermeture d'une centaine de bureaux de vote, principalement dans le sud et dans l'est du pays. Un manifestant hostile aux élections a été abattu lors d'un échange de tirs samedi à Ajdabiya, dans l'est, alors qu'il tentait de dérober une urne dans un bureau de vote, selon un responsable local de la sécurité. Par ailleurs, des perturbations ont été signalées à Benghazi, capitale de la Cyrénaïque (nord-est), ainsi que dans les bureaux de villes-oasis comme Jalo et Ojla, dans la province du Fezzane (sud-est).

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"C'est un jour historique pour la Libye"
Législatives : les Libyens se sont rendus aux urnes pour un scrutin historique

"Jour historique"

La veille, le premier incident enregistré en marge du scrutin s’était soldé par la mort d'un fonctionnaire de la Commission électorale, consécutive à un tir à l'arme légère sur un hélicoptère transportant du matériel électoral près de Benghazi.

Malgré les craintes de nouveaux incidents, la participation était forte samedi à travers le pays. À Benghazi, berceau du soulèvement contre la dictature, des électeurs se sont massés devant les bureaux de vote bien avant leur ouverture, à 8 heures du matin.

Hamida Benamer, 85 ans, s’est péniblement présentée au bureau du quartier d’Al-Fwaihat, soutenue par son petit-fils de mère irlandaise. "Je suis très heureuse d’aller voter, je suis venue spécialement du Caire, où vit ma fille, parce que je ne voulais pas rater cet évènement", explique-t-elle à FRANCE 24 . De son côté, Carey Benamer, 20 ans et résidant en Irlande, n’a pas pu voter car il n’y a pas d’ambassade libyenne à Dublin. Toutefois le jeune homme s’est dit ravi d’accompagner sa grand-mère et d’être présent à Benghazi en ce "jour historique". Selon des responsables de la commission électorale, 6 450 ressortissants libyens ont voté à l’étranger plus tôt cette semaine.

Le scrutin était chargé d’émotion pour de nombreux Libyens, comme Wafa al-Mushrin, employé par le gouvernement. "Le 7 juillet est un jour important dans l’histoire de la Libye. Il rompt avec le passé et marque le début d’une autre vie", commente l’homme de 28 ans qui travaille à Tripoli. Wafa al-Mushrin fait partie des 80 % de la population à s’être inscrits sur les listes électorales, selon les données de la Haute Commission nationale des élections (HCNE). Ce taux particulièrement élevé est révélateur de l’enthousiasme des Libyens à participer au processus démocratique.

"Seconde révolution"

Les 200 membres de la nouvelle assemblée seront chargés de nommer un nouveau gouvernement, de gérer une nouvelle période de transition et surtout de rédiger la loi qui régira l'élection du Comité constituant (voir encadré). Ils succèderont au Conseil national de transition (CNT), qui a vu le jour durant la révolte libyenne en février 2011 et a pris le pouvoir lors de la chute du régime de Mouammar Kadhafi, le 21 août suivant.

Le comité constituant sera élu lors d'un prochain scrutin

À deux jours du scrutin, le Conseil national de transition libyen a annoncé que les membres du comité chargé de rédiger la Constitution seraient élus lors d'un prochain scrutin, et non pas nommés, par l'assemblée qui doit être élue samedi. Ce comité sera composé de 60 membres, soit 20 de chacune des trois régions : la Tripolitaine (ouest), la Cyrénaïque (est) et le Fezzane (sud).

Pour Frédéric Wehrey, spécialiste du Moyen-Orient à la Fondation Carnegie pour la paix, basée à Washington, cette élection peut être assimilée à "une seconde révolution". "Le CNT a joué le rôle de gardien du pouvoir qu’il a pris au gouvernement, commente-t-il. Et maintenant, on assiste à un deuxième passage de relais avec un transfert de l’autorité vers les futurs représentants élus".

Journée sous haute tension

La journée de vote était placée sous haute tension, notamment dans la Cyrénaïque, région située dans l’est du pays, et plus précisément à Benghazi. Dans cette ville, berceau de la révolte libyenne en 2011, de nombreux Libyens réclament une "répartition équitable" au sein de cette future assemblée. Les autorités ont en effet attribué, sur la base de données démographiques, 102 sièges - soit la majorité absolue - à la région Tripolitaine (Ouest), 60 à la Cyrénaïque (Est) et 38 à la région sud du Fezzan. Les partisans du fédéralisme ont donc appelé au boycott des élections et menacé de saboter le processus électoral.

Dans l'Est, de petites poches de résistance de militants islamistes s’opposent également au processus démocratique. Estimant que le coran devrait être la Constitution du pays, ils ont plaidé pour l'interdiction de ces élections.

À l’approche du scrutin, des attaques ont visé des bureaux de vote principalement dans la région Cyrénaïque. Le 1er juillet, des hommes armés ont saccagé les bureaux de la Commission électorale à Benghazi, mettant le feu à des documents et détruisant du matériel informatique. Et à deux jours du scrutin, un incendie a détruit du matériel électoral, dans un bureau de vote d’Ajdabiya (Est).

Le sud et l'ouest, terres d'affrontements

Dans le sud et l'ouest, des groupes armés et des milices, souvent formés d'anciens combattants rebelles, se disputent le pouvoir, ainsi que le contrôle des ressources naturelles. Des affrontements meurtriers éclatent régulièrement, constitutant une source d'inquiétude pour la population et les observateurs internationaux.

Pour le bon déroulement du scrutin, les mesures de sécurité ont été renforcées, en particulier dans ces zones de tension. Le ministre de l’Intérieur a mobilisé 40 000 membres des services de sécurité, ainsi que 13 000 hommes de la jeune armée libyenne.