
L'Indien Charles Correa, figure de l'architecture moderne, déplore l'expansion anarchique des zones urbaines en Inde. Fustigeant les villes-satellite sans charme, il plaide pour des villes adaptées au climat, à l'environnement et à la culture.
AFP - L'expansion anarchique du paysage urbain en Inde, où pullulent villes-satellites et blocs résidentiels sans âme, désespère Charles Correa, le plus célèbre représentant de l'architecture moderne dans ce pays d'1,2 milliard d'habitants.
En cinquante ans de carrière, l'architecte indien, qui siège au jury du prix Pritzker, le Nobel de l'architecture, a toujours défendu la construction d'immeubles adaptés au climat et à l'environnement et façonnés par la culture et l'histoire locales.
Les immeubles de 5 à 6 étages sont le format idéal pour une vie agréable en ville, selon lui. Loin des tours de verre du centre d'affaires de Gurgaon, tout près de New Delhi, où se concentrent multinationales et sociétés de sous-traitance des nouvelles technologies.
"Que dois-je faire? jeter des pierres contre les façades?" se demande-t-il, impuissant.
Les gens pensent que les tours sont "progressistes" et "modernes", une perception alimentée par l'image de Dubaï et de Singapour, des villes qu'admire la nouvelle élite indienne ayant les moyens de voyager, observe l'architecte, âgé de 81 ans.
"Les gens considèrent que c'est une image du progrès", décrypte-t-il pour l'AFP. "Pour les habitants de Bombay et New Delhi, Dubaï est une grande source d'inspiration. Ils y vont pour faire du shopping, ils pensent que c'est un endroit chic".
Dubaï s'est inspiré de Houston, la ville pétrolière américaine qui avait impressionné les cheikhs du Moyen-Orient.
"Vous voyez d'immenses pancartes publicitaires clamant: 'Achetez votre maison, c'est le moment de vous élever dans la vie' et vous voyez que c'est un projet horrible: 25 bâtiments identiques, une piscine quelque part, aucune perspective", résume M. Correa.
"C'est le genre de bâtiments clonés que l'on construisait sous Staline ou dans le Bronx et que les gens détestaient", dénonce le célèbre moderniste.
S'il risque de perdre cette bataille, au vu de la prolifération des villes-satellites sans charme ni passé, Correa n'a pas abandonné sa croisade pour rendre plus vivables les villes en Inde alors que la surpopulation, la pollution et les travaux permanents empoisonnent la vie des habitants.
Lors d'une récente conférence à New Delhi, l'architecte évoquait devant des urbanistes la nécessité de protéger les forêts et le besoin vital de créer des espaces publics pour que les habitants puissent se rencontrer et socialiser.
"La plupart des villes indiennes vont de mal en pis, mais l'aspect positif est qu'il existe un système de villes. Ce n'est pas comme Lagos qui domine au Nigéria, ou Londres et Paris qui prévalent dans leur pays. Ca, c'est mortel", tranche l'expert, lauréat de nombreux prix en Grande-Bretagne et au Japon.
Charles Correa, dont la famille est issue de l'ancienne colonie portugaise de Goa, espère que des villes petites et moyennes pourront se développer en étant dotées d'un système de transport efficace et selon un projet d'urbanisme, cruellement absent à New Delhi, Calcutta, Bombay et Bangalore.
"Si l'on surcharge ces villes, elles vont éclater", pronostique l'ancien président de la Commission nationale de l'urbanisation et ancien professeur à Harvard. "Je suis désespéré par notre gouvernement qui ne comprend pas que nous avons besoin d'anticipation", avoue-t-il.
C'est vers des villes moyennes que devraient être orientés les migrants qui quittent les campagnes à la recherche d'un emploi, plutôt que vers New Delhi et Bombay, selon lui.
En Inde, seuls 30% de la population vit actuellement en zone urbaine, bien loin des 50,6% en Chine ou des chiffres frôlant les 80% des pays développés, selon le rapport 2011 des Nations unies sur les perspectives d'urbanisation dans le monde.
Le rapport prévoit que la population urbaine en Inde va augmenter de 28% pour passer de 377 millions d'habitants à 483 millions en 2020. A l'horizon 2030, les citadins seront 606 millions.
Selon le centre de recherche McKinsey Global, l'Inde a besoin chaque année de 700 à 900 millions de m2 d'espaces résidentiel et commercial supplémentaires, ainsi que 350 à 400 km de nouvelles lignes de métros et 19.000 à 25.000 km de nouvelles routes par an.
Une expansion urbaine à une vitesse sans précédent en Inde.
Au début des années 1960, Correa avait travaillé sur un projet de "Nouveau Bombay".
"La ville comptait 4 millions d'habitants. Elle allait multiplier par deux sa population et nous disions: +cela ne va jamais marcher si nous sommes 8 millions+" pour une bonne qualité de vie".
Le plan fut en grande partie ignoré et Bombay compte aujourd'hui 12,5 millions d'habitants, selon le dernier recensement de 2011.
"Ne pas anticiper est criminel" se désole l'architecte.