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En Cisjordanie, les colons veulent rendre impossible la création d'un État palestinien
De notre envoyé spécial à Jérusalem – Depuis plusieurs semaines, le gouvernement israélien multiplie les annonces d’extension de colonies existantes ou de légalisation de colonies sauvages en Cisjordanie. La reconnaissance annoncée d’un État palestinien par la France et d’autres pays occidentaux accélère l'occupation israélienne de la Cisjordanie. Pour la rendre irréversible ? Reportage.
La colonie israélienne de Maalé Adumim, entre Jérusalem et la vallée du Jourdain, en Cisjordanie occupée. © France 24 - David Gormezano

Le 3 septembre, le ministre d'extrême droite israélien Bezalel Smotrich exposait sa proposition visant à annexer 82 % de la Cisjordanie. Devant la presse, il a présenté une carte dessinant les nouvelles frontières de l'État d'Israël, ne laissant à une administration palestinienne que la gestion des grandes villes de Cisjordanie (Jénine, Naplouse, Tulkarem, Ramallah, Jéricho et Hébron).

Ce projet marque la volonté croissante du gouvernement de Benjamin Netanyahu d’étendre la souveraineté d’Israël à la Cisjordanie, en réaction à la décision de plusieurs pays occidentaux de reconnaître un État palestinien.

Le Premier ministre israélien s'est ainsi rendu le 11 septembre à Maalé Adumim, l'une des plus importantes colonies israéliennes en Cisjordanie, pour annoncer à ses 40 000 habitants que son gouvernement approuvait son extension. Au passage, il a asséné : "Il n’y aura pas d’État palestinien, cet endroit nous appartient."

Huit jours plus tard, à la veille du shabbat et de la nouvelle année juive, les résidents de ce qui est désormais une petite ville se pressent au supermarché pour préparer les festivités familiales.

"Il faut tout faire pour empêcher la création d’un État palestinien"

Sac de course à la main, kippa sur la tête, Dany approuve cette décision. Ce retraité, qui habite Maalé Adumim depuis 40 ans, estime que "c'est quelque chose qui aurait dû être fait il y a dix ans au moins".

En Cisjordanie, les colons veulent rendre impossible la création d'un État palestinien
Dany Hadar devant le centre commercial de la colonie israélienne de Maalé Adumim, où il réside depuis 40 ans. © France 24 - David Gormezano

Aux abords du petit centre commercial, Edna ajoute que cette décision était très attendue par les habitants, car "depuis le 7 octobre 2023, on a besoin de renforcer notre sécurité et de se connecter à Jérusalem".

La retraitée sait bien que le projet d’extension de sa ville, la troisième plus importante colonie israélienne en Cisjordanie, est vivement dénoncé par la communauté internationale. Mais pour elle, "il faut tout faire pour empêcher la création d’un État palestinien, car ils ne veulent pas de nous, peu importe où nous sommes. Nous savons qu’ils ne veulent pas la paix. On a essayé. Maintenant, il faut que l’on construise et qu’on mène notre vie".

Dany approuve. Inutile de "regarder derrière soi, peu importe ce que les autres nations disent de nous", ajoute-t-il.

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À l'entrée de la colonie israélienne de Maalé Adumim, située en Cisjordanie. © France 24 - David Gormezano

Le feu vert du gouvernement israélien à l’extension de Maalé Adumim est donc une réponse explicite et assumée à la reconnaissance annoncée de l’État de Palestine par la France et d’autres pays occidentaux.

Pour marquer leur rejet de cette annonce, Benjamin Netanyahu et Bezalel Smotrich, son ministre des Finances en charge des affaires civiles en Cisjordanie, ont choisi d'entériner un vieux projet d’extension des colonies juives en Cisjordanie connu sous le nom de E1. Cet acronyme fait référence à 12 km2 de terres situées entre Maalé Adumim et Jérusalem, "la première parcelle de terre à l’est de Jérusalem" (Est 1).

Bloqué depuis le milieu des années 2000 en raison de l’opposition de l'allié américain, ce projet entend faire sortir de terre 3 400 logements et créer un bloc de colonies qui s’étendra vers la vallée du Jourdain. Pour l'ONU, le projet E1 "diviserait le nord et le sud de la Cisjordanie et aurait de graves conséquences pour la contiguïté territoriale du territoire palestinien occupé".

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E1, le projet de construction de plus de 3000 logements pour relier Maalé Adumim à Jérusalem. © Studio graphique France Média Monde

Le jeune maire de Maalé Adumim s’est lui aussi réjoui de la décision de son gouvernement. "E1 se trouve dans les limites municipales. On n'usurpe les terres de personne. Et c'est archi-faux de dire que la construction de E1 va briser la continuité territoriale entre les villes palestiniennes. Je ne nie pas le fait qu'il y a une population palestinienne qui habite en Judée-Samarie [le terme biblique très souvent employé en Israël pour désigner la Cisjordanie, NDLR]. Mais il y a deux routes qui sont en train d'être construites à l'est de Maalé Adumim qui vont permettre la circulation des Palestiniens, sans checkpoint". Celles-ci, pourtant, obligeront ses voisins palestiniens à faire un détour de 15 kilomètres pour se rendre à Jérusalem.

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Guy Ifrah, maire et natif de Maalé Adumim. © France 24 - David Gormezano

Né à Maalé Adumim il y a 43 ans, Guy Ifrah ne porte pas de kippa et se revendique "croyant, mais pas religieux". Membre du Likoud, le jeune maire affirme que sa priorité est "de permettre aux générations futures de vivre à Maalé Adumim. Le projet E1 permettra à 15 000 personnes de nous rejoindre. Il va y avoir des subventions pour les résidents et aussi pour les réservistes qui ont sacrifié deux ans de leur vie avec la guerre à Gaza."

Nier l’illégalité de la colonisation

Pour les groupes de pression qui, en Israël, militent depuis des années pour la multiplication des colonies juives en Cisjordanie, l’approbation du projet E1 est perçue comme une victoire politique de taille.

Porte-parole du mouvement pro-colon Regavim, Naomi Kahn estime que "le projet E1 a été retardé trop longtemps. Il n'y a pas d'Arabes qui vivent sur ce terrain." Une affirmation que conteste l’ONU, pour qui "la zone concernée est actuellement habitée par environ 5 000 Palestiniens".

La militante soutient également que "l'État d'Israël ne devrait pas être tenu de demander l'autorisation de quiconque pour exploiter les ressources foncières dont il dispose dans la zone C", c'est à dire au moins 60 % de la Cisjordanie placés sous le contrôle transitoire d’Israël, selon les accords d’Oslo.

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Naomi Kahn, directrice des relations internationales du mouvement pro-colon Regavim. © France 24 - David Gormezano

Partisane d’un grand Israël, allant "du fleuve à la mer", elle réfute l’accusation de colonisation et développe son interprétation toute particulière du droit international. "C’est absurde de dire qu'Israël occupe illégalement la Cisjordanie depuis 1967", affirme-t-elle, la Cisjordanie étant un "territoire disputé" depuis la chute de l’empire ottoman en 1922.

Pour cette militante, "depuis 1922, la frontière orientale d’Israël, c’est le Jourdain. En 1948, la Jordanie a envahi la Cisjordanie, ce que toutes les nations ont condamnées [sauf deux], car la souveraineté israélienne était reconnue par tout le monde".

Au nom de cette vision de l’Histoire, son mouvement pro-colons nie toute prétention des Palestiniens à une quelconque souveraineté en Cisjordanie. Et pousse le raisonnement jusqu’à dresser une carte des "implantations palestiniennes illégales en Cisjordanie", soutenant que le projet E1 a pour but de permettre la circulation des Israéliens partout où ils le souhaitent dans les territoires occupés.

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"Cette route mène à un village palestinien. L'entrée est dangereuse pour les citoyens israéliens" indique ce panneau à la sortie de Maalé Adoumim. © France 24 - David Gormezano

"Reconnaitre un État palestinien, une faute morale"

Quand on l’interroge sur la reconnaissance de la Palestine par la France, Naomi Kahn rétorque sèchement que "reconnaitre un état palestinien est une faute morale et politique. Cela revient à soutenir une entité terroriste qui a juré de faire disparaître le peuple juif. C'est une honte que les démocraties occidentales soutiennent la création d’un état raciste, misogyne, islamiste qui n’a aucune chance de succès."

Quelques kilomètres plus loin, le petit groupe de colons qui s'est emparé il y a six ans d’une colline de Cisjordanie entre Bethléem et Jérusalem, partage les convictions de la responsable de Regavim.

À la tête de la colonie de 19 familles, Lior Tal condamne le geste diplomatique de la France dans des termes bien plus crus. "Si les Occidentaux veulent reconnaitre un État palestinien, très bien. Mais qu’il le fasse chez eux, en Europe", dit-il, ajoutant que la souveraineté israélienne ne se discute pas et que les Palestiniens peuvent aller vivre "dans un pays arabe, il y en a beaucoup".

L'homme est connu pour ses propos et ses actions violentes depuis de nombreuses années, et pourtant le 29 mai, le gouvernement israélien a légalisé 22 colonies sauvages (souvent appelés "outposts"), dont celle de Lior Tal. 

Avec cette décision, il peut désormais espérer que maisons, routes et autres infrastructures sortiront de terre dans les prochaines années. "J’espère l’arrivée de 600 familles", nous dit-il.

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Lior Tal, leader armé d'une colonie sauvage entre Bethléem et Jérusalem. © France 24 - David Gormezano

Occupé par ses brebis et l’étude de la Thorah, Lior Tal a une vision radicale et mystique de la colonisation israélienne de la Cisjordanie. Il ne craint pas d’affronter ses voisins palestiniens et affirme avec certitude que "la terre d'Israël, c'est la terre des Juifs. C'est notre terre à nous. Nous étions là au temps du Second Temple [entre 516 avant J.-C. et 70 après J.-C., NDLR]. Il y a des traces archéologiques qui le prouvent. On sait aussi qu’il y avait des vignes à cette époque. L’islam les a détruite et les a remplacée par des oliviers. Nous avons replanté de la vigne pour marquer notre renaissance. Je suis là pour travailler la terre d'Israël et la préserver."

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Lior Tal devant sa maison surplombant des villages palestiniens, en Cisjordanie. © France 24 - David Gormezano

Depuis l’attaque du 7 octobre 2023 et le massacre commis par le Hamas sur le territoire israélien, Benjamin Netanyahu et son ministre des Finances se sont lancés dans une course contre la montre pour multiplier les colonies juives en Cisjordanie. Le nombre de colonies sauvages explose lui aussi : 32 sont établies en 2023, 61 de plus en 2024, et 58 nouvelles ont vu le jour durant les seuls six premiers mois de l’année 2025.

Très inquiète, l'organisation pacifiste israélienne La paix maintenant estime dans un communiqué qu'"en poursuivant sans relâche ce projet, le gouvernement israélien sabote toute possibilité de solution politique et entraîne Israéliens et Palestiniens dans un cycle de conflit sans fin".

Favorable à une solution à deux États, elle estime qu'il y avait 141 colonies israéliennes officiellement reconnues par le gouvernement en Cisjordanie fin 2024 et que l'approbation du projet E1 enterre "l'espoir d'un avenir pacifique pour les deux nations".

Après près de deux ans de guerre sur tous les fronts au Moyen-Orient, Benjamin Netanyahu et le parti des colons réaffirment semaine après semaine, sans se dissimuler, leur refus d’un État palestinien en accélérant la colonisation de la Cisjordanie, pour n'en laisser que quelques confettis à une autorité palestinienne moribonde.