
Melika Mohammadi Gazvar Olya avant son arrestation aux États-Unis. © Photo personnelle
Un cri du cœur. Comme des centaines de jeunes Iraniennes, Melika Mohammadi Gazvar Olya avait défilé tête nue dès septembre 2022 dans les rues de Téhéran en scandant le slogan "Femme, Vie, Liberté", et multiplié les posts sur les réseaux sociaux. Une façon de montrer son indignation après la mort de Mahsa Amini, étudiante de 22 ans arrêtée par la police des mœurs pour "port de vêtements inappropriés" et morte peu après en détention.
Alors que la répression fait rage dans son pays, et qu'elle craint pour la sécurité de sa mère et de ses deux petites sœurs, Melika, âgée de 20 ans, prend une décision difficile. Elle quitte l'Iran via la Turquie puis prend un vol pour le Nicaragua et remonte jusqu'aux États-Unis.
"J'ai cru que le ciel me tombait sur la tête"
Pour Melika et son père, ce sont des semaines de bus et de marche à travers l'Amérique centrale, ponctuées par les contrôles de passeurs et les extorsions des cartels. Elle est alors le témoin de sévices physiques et sexuels. "Il y avait cette peur permanente, qui s'ajoutait au fait de ne pas avoir de chez soi, d'être toujours en mouvement : tout était différent pour moi, de la nourriture à la langue en passant par les paysages et les coutumes", explique-t-elle à France 24.
Fin janvier 2023, Melika atteint enfin Ciudad Juárez, dernière étape mexicaine avant les États-Unis. Comme de nombreux réfugiés traversant le Rio Grande, barrière naturelle entre le Mexique et le Texas, elle se livre aux gardes-frontières, espérant obtenir un asile rapide. Mais ce qu'elle pense être la fin d'un calvaire n'est que le début d'un nouveau chemin de croix. Aussitôt arrêtée, Melika troque ses vêtements civils contre l'uniforme des détenus.
La jeune femme, qui veut faire des études de médecine, voit ses rêves se briser lorsqu'elle comprend qu'on la transfère dans un centre de détention de l'ICE, la police de l'immigration américaine, à El Paso, au Texas. "J'ai cru que le ciel me tombait sur la tête", se remémore-t-elle.
"Je commence à me dire que je ne retrouverai jamais la liberté"
Une juge de l'immigration ordonne son expulsion vers l'Iran, alors même que sa vie est en danger dans ce pays qu'elle a fui. "Un jour d'octobre 2023, j'ai été escortée par l'ICE dans un van aux vitres teintées sans savoir où l'on m'emmenait - ce n'est que sur le tarmac de l'aéroport d'El Paso que j'ai compris : un agent, me voyant en pleurs, m'a indiqué que j'avais le droit de refuser ce vol : ce que j'ai fait". Melika est depuis suivie par l'association Las Americas, basée à El Paso. En 2025, la deuxième tentative de renvoi est à nouveau évitée au motif d'un risque évident pour sa vie en cas de retour, alors même que les États-Unis n'ont signé aucun accord de réadmission avec l'Iran.
Elle a désormais épuisé la plupart de ses recours juridiques. Et depuis plus de deux ans et huit mois, elle partage un dortoir avec 70 codétenues, la plupart venues d'Amérique latine, souvent expulsées vers leur pays d'origine en quelques semaines. "Je me fais de nouvelles amies, puis je les vois partir, et d'autres arriver, en sachant qu'elles finiront, elles aussi, par s'en aller. Je commence à me dire que je ne retrouverai jamais la liberté", désespère Melika, qui parle désormais couramment anglais et espagnol.
Malgré des vents contraires, Zoe Bowman, en charge de son dossier pour l'association Las Americas, tente le tout pour le tout en espérant une liberté conditionnelle. "Nous déposons un recours pour détention arbitraire', explique l'avocate, rappelant que la Cour suprême avait fixé en 2001 à six mois la durée maximale raisonnable de rétention après un ordre d'expulsion, un seuil depuis longtemps franchi dans le cas de Melika.
Une détention systématique des demandeurs d'asile
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier 2025 a accentué la pression sur les demandeurs d'asile. Le programme de "catch and release" a été aboli : tous les migrants sont aujourd'hui incarcérés systématiquement, y compris ceux qui fuient la persécution politique. L'octroi de l'asile, déjà difficile sous Joe Biden, est devenu quasi inexistant sous Donald Trump. Dans un décret exécutif en date du 20 janvier, le républicain a suspendu l'admission de réfugiés sur le sol américain, ou seulement "au cas par cas".
L'optimisme à toute épreuve de Melika a pris un nouveau coup après les frappes américaines sur l'Iran en juin dernier. Pendant plusieurs jours, elle n'a pas de nouvelle de ses proches restés au pays. Et elle comprend vite que les réfugiés iraniens sont désormais dans le viseur des autorités. Tom Homan, "tsar de la frontière" nommé par Trump à la tête de l'ICE, ne s'en cache pas : il s'est publiquement inquiété de potentielles "cellules dormantes" iraniennes, alimentant la paranoïa du clan MAGA.
"Mon père, qui avait obtenu la liberté conditionnelle il y a quelques mois, a été cueilli par l'ICE juste après les frappes : il se trouve désormais dans un autre centre de détention en Arizona et j'ai beaucoup de mal à avoir de ses nouvelles", déplore Melika, qui communique avec l'extérieur par téléphone ou via une application de messagerie, quand ça fonctionne…
Des conditions "inhumaines" selon Amnesty
Des réveils militaires à 5h30 du matin, du papier toilette rationné, une hygiène déplorable, un suivi médical limité : Amnesty International qualifie les conditions du "processing center" d'El Paso "d'inhumaines" dans un rapport publié le 14 mai dernier, s'alarmant tout particulièrement de la qualité de la nourriture, peu équilibrée et parfois même avariée. "À presque tous les repas, nous avons droit à un sandwich avec des chips", résume la jeune Iranienne.
Au fil des mois derrière les barreaux, Melika est devenue un point de repère pour les nouvelles arrivantes, les guidant et les soutenant dans cet environnement oppressant. Chaque jour, elle lutte pour maintenir un semblant de dignité et d'humanité dans un lieu où la promiscuité et le bruit constant sont le quotidien.
"Dans la cellule, nous projetions nos ombres contre le mur, nous prenions la pose comme si nous faisions un shooting photo. Sans téléphone, nous faisions semblant prendre des photos. C'était notre manière de passer le temps. Nous dansions et nous dessinions beaucoup", se remémore son ancienne camarade de cellule Edgarlys Castañeda-Rodriguez, qui vit désormais à New York, avec un bracelet électronique à la cheville. La demandeuse d'asile vénézuélienne, menacée par le régime de Maduro, a passé plusieurs semaines "traumatisantes" dans le même dortoir que Melika avant d'obtenir une liberté conditionnelle. Elle révèle qu'une co-détenue a même tenté de mettre fin à ses jours il y a quelques semaines dans la cellule qu'elle partageait avec son amie iranienne.
Trois ans après la mort de Mahsa Amini, Melika reste coincée à El Paso, sans certitude sur l'issue de sa demande d'asile. Elle tente de garder espoir : "J'ai pris une route que je ne connaissais pas, vers un lieu où je n'avais jamais pensé me retrouver. Et depuis, je suis enfermée ici, alors que je n'avais rien prévu, toujours en train de chercher la liberté".