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À quelques jours des élections législatives algériennes prévues le 10 mai, FRANCE 24 a rencontré Younes Sabeur Chérif (à gauche) et Abderrahmane Semmar (à droite), les deux ambitieux fondateurs du site d’informations participatif NessNews.

À quelques jours des élections législatives algériennes prévues le 10 mai, Abderrahmane Semmar, 26 ans, et Younes Sabeur Chérif, 23 ans, se démènent pour assurer la couverture de la campagne électorale. Les deux cofondateurs du site d’informations participatif NessNews, le site des Envoyés spéciaux algériens, ne veulent pas "passer à côté" d’un tel évènement. Et ce, "malgré le vide sidéral et l’absence de débat qui caractérise cette campagne", précisent-ils en chœur.

La liberté de ton et l’impertinence de ce constat sont à l’image de leur ligne éditoriale qui s’emploie à dénoncer la corruption et l’incurie des autorités, ainsi que la misère sociale qui sévit dans le pays. "Nous sommes l’alternative à la grande majorité des médias algériens qui ont choisi de rentrer dans le rang", lancent fièrement Abderrahmane et son acolyte, rencontrés par FRANCE 24 dans un café d’Alger, près de la place du 1er-Mai.
Un espace d’expression "sans censure"
Fondé en février 2012 et flanqué de l’ambitieux slogan "L’info qui manque", leur site s’appuie, en effet, sur le concept du journalisme citoyen pour bousculer les us et coutumes de la scène médiatique algérienne. L’histoire commence à la fin de juillet 2010 sur le célèbre réseau social Facebook, lorsque Younes crée avec quelques amis la page des Envoyés spéciaux algériens (ESA), l’ancêtre du site actuel. "Partant du constat que le champ médiatique algérien est complètement verrouillé et décrédibilisé, j’ai décidé d’offrir un espace à chaque internaute afin qu’il puisse débattre et partager des informations sur son quartier ou ses tracas quotidiens, en jouissant totalement de sa liberté d'expression et sans aucune censure", souligne l’étudiant en sciences politiques et relations internationales à l’université d’Alger III.
La consécration intervient en janvier 2011, lorsque la page créée en quelques clics est submergée de vidéos, de témoignages et de photos (800 publications et 15 000 commentaires en moyenne par jour) à la suite des émeutes de Bab el Oued, un quartier déshérité de la capitale. "Avant ces évènements, nous avions près de 5 000 fans. Quelques jours plus tard, ils étaient 15 000 envoyés spéciaux algériens", note Younes, qui explique ce succès par la réactivité de la couverture en temps réel des émeutes. L’onde de choc des révoltes arabes en 2011 aidant, la page gagne en popularité. "Le rôle actif joué par les internautes et les réseaux sociaux dans le printemps arabe a permis à nos contributeurs de prendre conscience de la puissance de la Toile et de la liberté d’expression que nous leur offrons", glisse-t-il.
 
Aujourd’hui, cette même page Facebook compte un contingent virtuel de 115 000 fans, très loin devant l’ensemble des pages officielles dédiées aux sites d’informations algériens sur le réseau social. Fort de ce succès et de cet impressionnant "réseau de journalistes citoyens", il décide, avec Abderrahmane, rencontré en août 2011, de créer un site à part entière, Nessnews ("ness" signifie "les gens"), reprenant le même concept de journalisme participatif.
Les "dérives électorales" en ligne de mire
En plus des nombreuses contributions de leur communauté virtuelle (articles, débats et photos), vérifiées avant publication, les deux compères à la complicité évidente publient un contenu propre. Un travail fastidieux qui demande un effort considérable, fourni pendant leur temps libre. "On ne fait pas cela pour l’argent ou la gloire, nous ne tirons aucun bénéfice matériel du site. Mais peut-être que, plus tard, nous pourrons nous développer en obtenant des fonds grâce à la publicité", tient à préciser Younes. Et l’espoir est permis dans un pays où les études les plus récentes démontrent qu’Internet est la première source d’informations des Algériens, loin devant les médias "classiques".
À l’occasion des législatives, "la priorité actuelle", ils alimentent quotidiennement un dossier spécial quasi-exclusivement consacré aux dérives électorales constatées par les contributeurs. "Nous sommes extrêmement vigilants sur les tentatives de fraudes qui ont désormais lieu publiquement. Nous avons été les premiers à dénoncer les travers comme les ventes de places sur les listes électorales", relève Younes. "Ça fait un tabac auprès des lecteurs", ajoute Abderrahmane, ancien journaliste du site web du quotidien El Watan. Se définissant comme des cyberactivistes, ils concèdent subir de temps en temps des pressions via des mails anonymes de menaces qu’ils supposent téléguidés par "les services". Mais ils assurent ne pas être en confrontation avec un "pouvoir dépassé", mais dans la transmission des messages de la jeunesse.
"Les jeunes Algériens d’aujourd’hui sont plus politisés que jamais, ils ne sont pas dupes quand ils constatent qu’il y a des ministres et des élus incapables de leur donner des leçons", tance Abderrahmane. Il affirme que les Algériens n’attendent rien de ces législatives, bien que l’immense majorité de la jeunesse aspire à vivre et à travailler dans ce pays. "Comme bon nombre de nos contributeurs et de nos lecteurs, je ne crois absolument pas que ces élections changeront quelque chose en Algérie. Elles ne me concernent pas. Par conséquent, à quoi bon aller voter pour des ignares ou des corrompus ?", conclut Abderrahmane.