Alors que Nicolas Sarkozy oriente sa campagne à droite pour séduire une partie des électeurs du Front national, le candidat socialiste, assuré selon les sondages de capter un quart de l’électorat frontiste, ne change rien à sa ligne directrice.
"L’erreur que je ne commettrai pas, c’est, pour parler aux autres, oublier les nôtre." Dans un entretien accordé au journal "Libération" et publié le 24 avril, le candidat socialiste François Hollande résume en une phrase sa stratégie de campagne pour l’entre-deux tours : pas question de droitiser son discours pour capter l’électorat du Front national. Dès les résultats du premier tour connus, il a néanmoins choisi de parler aux électeurs du FN, adressant à ceux qui "se sentent abandonnés" un message de "compréhension".
AFP - Jean-Luc Mélenchon met François Hollande en garde contre la tentation de courir derrière les 6,4 millions d'électeurs du Front national pour laisser Nicolas Sarkozy, dont le camp va selon lui "exploser", s'enfoncer seul dans ce "piège".
Le candidat du Front de gauche, qui a recueilli 11,11% des voix au premier tour, a également déclaré dans une interview à Reuters qu'il se plaçait dans une "stratégie d'autonomie conquérante" face au Parti socialiste, dont il exige des gages pour obtenir l'adhésion de ses quatre millions d'électeurs.
Érigé en faiseur de roi à l’issue du premier tour, l’électorat du Front national est désormais au cœur des stratégies de campagne des deux candidats finalistes à l’élection présidentielle.
Alors que Nicolas Sarkozy a clairement adopté la rhétorique frontiste pour draguer les voix de Marine Le Pen au second tour, François Hollande affirme haut et fort son intention de "convaincre [les électeurs frontistes] que c’est la gauche qui les défend". "Il y a l’électorat de Le Pen, dont une partie vient de la gauche et qui devrait se retrouver du côté du progrès, de l’égalité, du changement, de l’effort partagé, de la justice, parce qu’il est contre les privilèges, contre une Europe défaillante", affirme le candidat socialiste dans les colonnes de "Libération".
Petits employés, artisans et ouvriers
Ce que veut avant tout François Hollande, favori de l’élection selon les sondages, c’est s’imposer en grand rassembleur du peuple français. "Je suis socialiste, je suis le représentant de la gauche mais je m’adresse à tous les Français car je veux être le président du rassemblement", a-t-il répété. Dans cette optique, pas question d’ignorer l’électorat du Front national. Pour Frédéric Sawicki, professeur de science politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et chercheur au CNRS, François Hollande "ne peut pas se permettre de négliger les 20 à 25 % des électeurs du Front national qui, selon les sondages, vont se reporter sur lui".
Le socialiste, dans "Libération", affirme vouloir s’adresser "aux petits employés, aux artisans, aux ouvriers" qui se "sentent abandonnés". "Ce que peut vouloir faire Hollande, c’est mettre en avant la question du pouvoir d’achat - visiblement, c’est ce qu’il fait -, se rendre dans les zones pavillonnaires largement laissées de côté pendant la campagne du premier tour et adresser des signaux sur le fait que le vote des étrangers n’est pas une priorité", affirme Frédéric Sawicki. Sur France 3, lundi 23 avril, Ségolène Royal s’y est d’ores et déjà employée, assurant que le droit de vote des étrangers non communautaires, pourtant inscrit dans le programme de François Hollande, n’avait jamais été une priorité du Parti socialiste.
"Tout laisse présager la victoire de François Hollande"
François Hollande veille cependant au grain. Loin de faire siennes les thématiques chères à Marine Le Pen, le candidat socialiste soigne le cœur de son électorat ainsi que celui de l’extrême gauche. "Sa stratégie vis-à-vis de l’extrême droite consiste à dire : ‘Je comprends votre colère, je comprends le message que vous avez voulu faire passer, faites moi confiance pour que je règle vos problèmes’", souligne Michel Wieviorka, ancien directeur de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), sociologue et militant socialiste. "Le danger de voir son électorat lui tourner le dos existerait si François Hollande se mettait à exprimer des idées différentes de ce qu’il dit habituellement, mais il n’a pas l’intention de changer son message", explique-t-il.
En outre, selon Michel Wieviorka, "le choix des électeurs est déjà fait". Les sondages parus peu après le premier tour donnent François Hollande victorieux avec 54 % des voix contre 46 % en faveur de Nicolas Sarkozy. "Il n’a pas besoin de changer sa ligne directrice : tout laisse présager qu’il gagnera", précise Frédéric Sawicki. D’autant que, selon Alexandre Dezé, maître de conférence en science politique à Montpellier et auteur de "FN : La conquête du pouvoir ?"*, la stratégie du Front national, consistant à faire éclater la droite, devrait jouer en faveur du candidat socialiste.
"Marine Le Pen a tout intérêt à ce que François Hollande gagne pour qu’elle puisse se positionner en leader de l’opposition à la gauche aux législatives, explique-t-il. Plus ou moins un quart des électeurs du FN reporteraient leurs voix sur le candidat socialiste. Evidemment, ces chiffres sont à interpréter avec prudence : tout peu encore évoluer. Cela dépendra notamment de la capacité de Marine Le Pen à faire comprendre ses consignes de vote à ses électeurs."
* éditions Armand Colin, février 2012