
Organisée à Tunis ce vendredi, la conférence des "amis de la Syrie" destinée à venir en aide au peuple syrien n’est qu’un simulacre diplomatique, estime Fabrice Balanche, spécialiste du pays.
La conférence des "amis de la Syrie" parviendra-t-elle à sauver le peuple syrien de la sanglante répression du régime ? Au 21e jour de pilonnage intensif de la ville de Homs, les États "amis" du peuple syrien - une soixantaine de pays occidentaux et de membres de la Ligue arabe ainsi que l'opposition syrienne -, se sont donné rendez-vous à Tunis ce vendredi pour obtenir de Damas la fin des tueries et l’accès des organisations humanitaires aux populations en détresse.
Une réunion inédite, certes - les "amis de la Syrie" se sont pour la première fois réunis hors du cadre de l’ONU -, mais "malheureusement" vaine, estime Fabrice Balanche, maître de conférences à l'université Lyon-2 et spécialiste de la Syrie. Acculer Damas sans le soutien de Pékin et de Moscou et exhorter le pouvoir syrien à mettre fin à la répression sanglante qui sévit depuis plusieurs mois dans le pays s’avère, en effet, être un défi aussi difficile qu’utopique.
"Rien ne se fera tant que les Russes et les Chinois ne fléchiront pas"
"Cette réunion ne sert pas à grand-chose et ne devrait pas aboutir à l’adoption d’une résolution pour résoudre la crise syrienne", tranche d’emblée le spécialiste, pour qui la communauté internationale multiplie les "gesticulations diplomatiques". Et ce en dépit de la nomination, jeudi 23 février, de l'ancien secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, au poste d’émissaire conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe sur la crise en Syrie. "Les pays occidentaux ont fait plier Mouammar Kadhafi mais pas Bachar al-Assad. Ils sont frustrés. En se réunissant, ils ont simplement remporté une victoire médiatique", ajoute-t-il.
Même si la présence à Tunis de l’Afrique du Sud, de l’Inde et du Brésil - "pays qui avaient été jusqu’à présent sceptiques quant à faire pression sur Damas" - est un pas positif, il n’empêche que la force du nombre ne pèse pas lourd face aux veto russe et chinois. "Regrouper quelque 60 pays pour faire pression sur Damas constitue un succès, mais rien ne pourra se faire tant que les Russes et les Chinois ne fléchiront pas", assure Fabrice Balanche.
2012, année de l’attentisme
Pas question donc d’envisager la possibilité d’une intervention militaire pourtant réclamée aujourd’hui par le Qatar. Les Occidentaux continueront un certain temps de jouer la carte de la prudence et de l’attentisme face à l’incertitude de l’avenir du régime, continue le spécialiste. "Il ne se passera rien avant les élections en France et aux États-Unis. 2012 sera certainement une année d’échanges diplomatiques et non pas d’offensives réelles", assure-t-il avant d’ajouter : "En revanche, si les massacres continuent et que la barre des 20 000 morts est franchie à la fin de l’année, 2013 sera alors peut-être l’année du changement."
En attendant, il ne faut pas s'attendre à des coups d’éclat diplomatiques, poursuit Fabrice Balanche : "Je pense que ni la France ni les États-Unis ne reconnaîtront formellement le Conseil national syrien (CNS). Ils le considèrent comme un interlocuteur légitime mais pas unique. Ils savent que le régime peut tenir encore longtemps [contrairement à celui de Mouammar Kadhafi en Libye, NDLR]. Ils sont donc plus rationnels que les pays du Golfe [Les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), dont le Qatar est membre, ont décidé, mardi 7 février, d’expulser les ambassadeurs de Syrie dans leurs pays respectifs et de rappeler les leurs en poste à Damas, NDLR]."
"Les corridors humanitaires, un aveu de faiblesse de Damas"
Même les mises en garde de la chef de la diplomatie américaine, Hillary Clinton, à Tunis - qui a prévenu le régime syrien qu’il paierait le "prix fort" s’il s’obstinait à ignorer la voix de la communauté internationale -, ne devraient pas inquiéter Damas outre mesure, continue Fabrice Balanche. "Prenez l’exemple du régime soudanais qui subit depuis des années tout un train de sanctions [gel des avoirs, suspension de tout nouvel investissement, etc., NDLR] : il est toujours en place."
Quant à l'ouverture de corridors humanitaires - ou la mise en place d'une trêve quotidienne de quelques heures réclamée par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour permettre l'acheminement d'une aide et l'évacuation des blessés -, là encore, l’idée n’est pas une panacée, selon le spécialiste. Non seulement parce que cette solution ne fait pas l’unanimité au sein des "amis de la Syrie" - l’Arabie saoudite la juge "insuffisante" pour régler le conflit -, mais aussi parce qu’elle "serait vécue comme une intervention étrangère", assure Fabrice Balanche. "Autoriser la mise en place de convois humanitaires sur ses terres serait un aveu de faiblesse de la part de Damas", ajoute-t-il avant de conclure : "Une telle autorisation lui ferait courir le risque d’être accusé de crimes contre l’humanité. Un risque que Damas ne prendra jamais."