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La justice se fait attendre pour les tortionnaires des années de dictature

correspondant à Buenos Aires – Environ 500 militaires argentins sont susceptibles d'être envoyés devant les tribunaux pour des crimes commis au cours des années de dictature. Mais la justice est lente, certains évoquant même une connivence entre juges et parties.

La  victoire de Raul Alfonsin, en 1983, marque le retour du pays à la démocratie. Les principaux chefs de l'ancienne dictature - Videla, Massera, etc - sont alors jugés, puis condamnés. Mais les condamnations ne sont  pas à la hauteur des crimes commis.

C'est ainsi qu'il aura donc fallu toute la détermination des associations et des organisations de défense des droits de l’homme pour que la justice argentine fasse son travail. Le président Nestor Kirchner, au pouvoir de 2003 à 2007, a incontestablement fait avancer le dossier, notamment en faisant voter l’abolition des lois d’amnistie - décision confirmée par la Cour suprême de justice, à la fin de 2005. On estime aujourd’hui à 500 le nombre de militaires pouvant être renvoyés devant les tribunaux. La plupart des cas dépendent de deux dossiers majeurs : celui de l’Ecole de mécanique de la marine de Buenos Aires (ESMA), qui fut l’un des principaux centres de torture de la dictature, et celui du 1er corps d’armée de la région de la capitale du pays.
 

À l’espoir suscité par la nouvelle impulsion donnée à la recherche de la vérité et de la justice, s’ajoute maintenant l’urgence imposée par le temps. Car bon nombre de prévenus, âgés, risquent, à force de retards, d’emporter dans leur tombe la vérité sur les personnes disparues.
 

La condamnation du prêtre Christian Von Wernich pour crimes contre l’humanité illustre bien les lenteurs de la justice argentine. En ce jour de 2007, les familles de disparus célébraient la reconnaissance officielle du chef d’accusation de génocide perpétré durant la dernière dictature militaire. Mais depuis, la justice semble s’enliser. Malgré la réouverture des procès, impulsée par l’ancien chef d'Etat Nestor Kirchner, seulement quarante-quatre personnes ont été condamnées.
 

"C'est lamentable, ils jouissent d'une impunité totale"
 

"J’ai la haine. On se bouge, on monte des dossiers, on rencontre les procureurs… Et derrière ? On voit que la plupart de ces génocidaires restent en liberté. C’est lamentable. Ils jouissent d’une impunité totale", lâche Emiliano Hueravilo, membre de l’organisation d’enfants de disparus H.I.J.O.S, installée dans un "squat" de La Plata.

Impunité… Le mot revient dans toutes les conversations engagées avec les familles de disparus, qui n’hésitent plus à dénoncer le conservatisme, voire la connivence, des juges.

"Il existe encore au sein des tribunaux fédéraux de très nombreux cadres, juges ou fonctionnaires qui s’identifient toujours à certains des secteurs les plus actifs de la dictature", explique Felix Crous, procureur de la République en charge de l’unité d’assistance aux victimes du terrorisme d’Etat.

Pedro Dinani, avocat et membre de Ligue des droits de l’homme, confirme : "Le docteur Bisordi, par exemple, est un ancien membre de la Cour de cassation. Il y a encore peu de temps, il était surtout connu pour sa fâcheuse tendance à retarder tous les dossiers des tortionnaires et à les faire traîner pour éviter qu’ils aboutissent à un procès."
 

Le poids de la société civile

Les récentes demandes de remises en liberté des plus sinistres tortionnaires n’ont pas grandi l’institution judiciaire. Mais depuis l’échec du soulèvement des "Carapintadas", ces militaires hostiles à toute justice, dans les années 1990, la société civile a su imposer ses lois.
 

"Personne ne peut rester en prison plus de deux ans sans procès. C’est le droit commun. Mais le gouvernement met la pression sur les juges pour que tous les militaires inculpés restent incarcérés jusqu'à leur éventuelle condamnation", dénonce Gustavo Luis Breid Obeid, ancien des Carapintadas, qui a fait de la prison pour avoir, à l’époque, participé à la prise d’assaut du ministère de l’Intérieur.
 

Pressée par les organismes de défense des droits de l’homme, la présidente de la République, Cristina Kirchner, vient de demander aux juges de se retrousser les manches, sans quoi ils encourent des sanctions disciplinaires. L’administration judiciaire rétorque que depuis l’annulation des lois d’impunité et la réouverture des procès, sa charge de travail s'avère démesurée.
 

"Oui, il faut nommer davantage de juges. Mais cela relève de la compétence du pouvoir exécutif ou du Conseil de la magistrature. Et il faut ouvrir plus de salles d’audience, mais cela aussi c’est du ressort du Conseil de la magistrature, qui dépend de la présidente…", explique Ricardo Lorenzotti, président de la Cour suprême de justice, qui entend bien défendre ses troupes.

Bureaucratie judiciaire, manque de moyens et de coordination entre les différents pouvoirs… Et déjà 191 criminels impunis, morts en emportant dans leur tombe l’histoire des disparus de la dictature.

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