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L’affaire dite des "biens mal acquis" franchit une nouvelle étape

L’enquête, qui dure depuis cinq ans et qui met en cause trois chefs d’État africains, a pris un nouveau tournant avec la perquisition de l’appartement parisien du fils d’un des dirigeants visés, mardi dernier.

Nouveau rebondissement ou coup d’épée dans l’eau ? La perquisition menée depuis mardi dans l’appartement situé dans la très chic avenue Foch (16e arrondissement de Paris) appartenant au fils du président de Guinée équatoriale Teodoro Obiang Nguema fait en tout cas couler beaucoup d’encre.

Conduite par les deux juges d’instruction chargés du dossier dit des "biens mal acquis"  et les policiers de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), la perquisition était toujours en cours vendredi.

Parmi les meubles saisis, des pièces de collection, comme ce bureau d'époque Louis XV dont la valeur est estimée à un million et demi d'euros mais aussi nombre d'œuvres d'art ou d’objets provenant de la vente de la collection exceptionnelle de Pierre Bergé et d’Yves Saint Laurent que le clan Obiang avait acquis pour 18 millions d'euros en 2009.

"Il s’agit ni plus ni moins d’une violation caractérisée grave du droit international public", conteste Maître Olivier Pardo, avocat de la Guinée équatoriale, interrogé par FRANCE 24. "Cet appartement bénéficie de l’immunité au regard de la Convention de Vienne. Cette procédure illégale porte atteinte à la souveraineté du pays."

Le ministère des Affaires étrangères français, cité dans le Monde du 14 février, argue pour sa part que "cet appartement relève du droit commun". Argument balayé d’un revers de la main par Maître Pardo pour qui les traités internationaux ont "la primauté sur les règles de droit interne." Dont acte.

Trois ans pour obtenir des juges d’instruction

De fait, l’affaire a commencé en mars 2007 sur la base d’une plainte déposée par les associations Survie et Sherpa, rejointes ensuite par l’ONG Transparency International France, contre cinq chefs d’Etat africains et leurs familles pour "recel de détournement de biens publics et complicité" auprès du Tribunal de grande instance de Paris (TGI).

Dans le collimateur des plaignants ? Des présidents africains "amis de la France" de longue date dont le Congolais Denis Sassou Nguesso, le Gabonais feu Omar Bongo, l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema, le Burkinabé Blaise Compaoré, l’Angolais José Eduardo Dos Santos, et certains de leurs proches.

Ils se voient reprocher les conditions dans lesquelles ils ont acquis un important patrimoine immobilier et mobilier de luxe en France ainsi que des avoirs bancaires auprès de banques françaises ou étrangères ayant des activités dans l’Hexagone. Autrement dit, d'avoir dépensé des deniers publics à des fins privées.

Faute d’éléments à charge, les poursuites contre Compaoré et Dos Santos ont rapidement été abandonnées. En revanche, malgré la lourdeur du dossier, les menaces en tout genre, les pressions politiques et diplomatiques -recencées par Survie et Sherpa- et les trois années nécessaires pour convaincre le parquet de Paris d’instruire des juges, les trois autres leaders africains restent dans la ligne de mire de la justice française et étrangère – Obiang Nguema est également poursuivi en Espagne et aux États-Unis.

"Une avancée incontestable"

La perquisition opérée dans l’appartement parisien du fils Obiang "est une avancée incontestable qui a été rendue possible après que les deux juges d’instruction qui en sont chargés ont obtenu récemment l’autorisation de la mener plus avant", se réjouit Maud Perdriel-Vaissière, déléguée générale de l’association Sherpa joint au téléphone par FRANCE 24. Et cette dernière de rappeler que déjà en septembre, "la police parisienne avait saisi des véhicules de luxe appartenant à la famille du président équato-guinéen", avenue Foch toujours.

La juriste ne crie pas victoire pour autant car il reste désormais à établir "le caractère illicite de ces biens, ce qui peut prendre énormément de temps", prévient-elle. À défaut de pouvoir attaquer ces dirigeants politiques qui jouissent de l’immunité judiciaire, on confisque donc leur patrimoine, "partie visible de leur corruption".

La perquisition de l’avenue Foch devrait durer plusieurs jours compte tenu du volume important des biens. "Des témoins seront auditionnés et des personnes visées par la plainte devraient être interrogées ou mises en examen", espère Maud Perdriel-Vaissière, qui sait néanmoins que la procédure peut encore prendre du temps.