
Les cyberactivistes veulent réitérer avec le traité ACTA sur la contrefaçon leur action contre les projets de loi américains sur les droits d’auteur SOPA/PIPA. Mais les deux textes méritent-ils que l'on se batte contre eux de la même façon ?
Le succès de la cybermobilisation contre les propositions de loi américaines SOPA (Stop online piracy act) et PIPA (Protect intelectual property act) a donné des ailes aux militants de la liberté d'expression en ligne. Des association comme RSF ou l’Electronic Frontier Foundation veulent maintenant accrocher le traité ACTA (Anti-counterfeit trade agreement) à leur tableau de chasse.
Ce traité international ACTA, qui renforce aussi bien la protection des brevets des grands groupes pharmaceutiques que celles des ayant droits d’œuvres culturelles contre le téléchargement illégal, a été approuvé fin janvier par la Commission européenne. Auparavant, il avait déjà été signé par 38 autres pays dont les États-Unis et le Japon à Tokyo le 1er octobre 2011. Seule la Pologne a pour l’instant, sous la pression d’une pétition en ligne réunissant plusieurs dizaines de milliers de signatures, suspendu la ratification du traité.
Avec les mêmes armes que lors de la mobilisation contre SOPA - pétitions en ligne sur le site de la Maison Blanche, campagnes de sensibilisation -, ces opposants au traité espérent arriver au même résultat qu’avec SOPA/PIPA : la remise en cause du texte controversé.
Pour l'heure, la cybermobilisation contre ACTA semble moins forte que pour SOPA. Il faut dire que l’ACTA d’aujourd’hui n’a rien à voir ou presque avec celui des débuts. Depuis les premières fuites autour des négociations pour l’élabordation du traité en 2007, le texte est devenu le symbole de la lutte des David de l’Internet contre les Goliath que sont les majors du cinéma ou encore les grands groupes pharmaceutiques. Symbole d'autant plus fort pour les cyberactivistes que ce texte a été négocié en secret et ce n'est que grâce à une fuite des négociations que l'existence même d'un tel traité a été connu en 2007.
Les chantres de la liberté d’expression sur l’Internet ont milité très tôt contre un texte qui, à leur yeux, donnait aux États et aux groupes de pression de l’industrie du disque et du cinéma des pouvoirs de contrôle et de censure du Web proches de ceux que voulaient instituer SOPA aux États-Unis. Leur cyber-campagne qui avait porté ses fruits puisque certaines des dispositions les plus controversées, comme le droit accordé aux douaniers de fouiller le contenu d’ordinateurs portables ou d’iPod à la recherche de téléchargements illégaux, ont disparu du texte final du 1er octobre 2011.
Mieux et pire à la fois
Le résultat de cette refonte echappe donc, pour certains, à tout reproche. Même la communauté du célèbre agrégateur de liens Reddit, très active et influente lors du combat contre SOPA, est moins opposée avec cette ACTA version allégée.
S elon une analyse très populaire du texte sur Reddit, le texte serait l’ombre du monstre liberticide d’hier, ne faisant que “tenter d’harmoniser au niveau mondial les législations de protections des droits d’auteur”.
Pour d’autres militants, le combat contre ACTA doit continuer. “En fait, ce traité est encore plus dangereux que SOPA car ce n’est pas qu’une loi nationale qu’il est possible d’annuler par la suite, mais un traité cadre qui donne une orientation aux législateurs de tous les États signataires en matière de droits d’auteur”, souligne auprès de FRANCE 24 Philippe Aigrain, co-fondateur et conseiller stratégique de La quadrature du Net, un collectif de défense des droits des utilisateurs d’internet très critique à l’égard d’ACTA depuis 2007.
Il estime surtout que si le traité, dans sa forme actuelle, paraît moins menaçant, le texte est toujours marqué des “intentions manifestées dans les textes initiaux par les lobbies”. En fait, ce spécialiste du droit d’auteur craint que les “lobbies privés” réussissent, à travers ACTA, à imposer leurs vues aux législateurs qu'ils soient en France ou ailleurs. “Ce qui serait le symbole le plus monstrueux du contournement du processus démocratique”, avertit Philippe Aigrain.
Si le texte d'ACTA a été expurgé de ces dispositions les plus contestées, il instaure tout de même, selon Philippe Aigrain, des règles qui donnent “à des acteurs privés le droit de réguler le partage non-marchand d’œuvres numériques”.
Les arguments de la Quadrature du Net et d’autres sites qui veulent continuer de s'opposer à ACTA ont trouvé des relais au sein du monde politique européen. Ainsi, l’eurodéputé français Kader Arif a démissionné, jeudi 26 janvier, de son poste de rapporteur européen de l'ACTA pour protester contre le contenu du traité controversé.