Le bras de fer qui oppose le Premier ministre chiite Nouri al-Maliki à la classe politique sunnite, qui l’accuse de dérives autoritaires, menace sérieusement la stabilité du pays. Au point que certains craignent une guerre civile.
"Le Saddam des chiites." C'est en ces termes que le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki est décrit par Tarek al-Homayed, rédacteur en chef et éditorialiste de l’influent quotidien arabe "Asharq Al-Awsat" dans son édition du 22 décembre. Une comparaison qui ne peut être qu’un affront pour cet homme politique chiite qui a consacré une partie de sa vie à s’opposer à l’ancien dictateur irakien.
L’éditorialiste du quotidien à capitaux saoudiens n’est pourtant pas le premier à dénoncer l’autoritarisme de Nouri al-Maliki. La semaine précédente, c’est Saleh Moutlak, le vice-Premier ministre irakien en personne, qui employait une formule proche, qualifiant à la télévision irakienne Nouri al-Maliki de "dictateur pire que Saddam Hussein".
Après cette déclaration, Iraqiya, deuxième groupe parlementaire du pays composé essentiellement d’élus sunnites (communauté minoritaire en Irak), a annoncé un boycottage du gouvernement "en raison de la détérioration du processus politique". Deux jours plutôt, la formation politique avait également
suspendu sa participation aux travaux du Parlement afin de dénoncer la "dictature" du Premier ministre, contre lequel elle dressait un violent réquisitoire dans un communiqué.
"Faisons nous-mêmes notre printemps arabe"
"Ce n’est pas la première fois qu’une campagne d’intimidation visant les ténors de la scène politique sunnite est orchestrée par le camp Maliki", explique Karim Sader, politologue spécialiste des pays arabes à France 24. Selon lui, le pouvoir chiite cherche à lancer un avertissement aux sunnites qui, en réponse à leur marginalisation, affichent de plus en plus des desseins autonomistes. Le 27 octobre, la province sunnite de Salaheddine déclarait son intention de demander l'autonomie régionale comme l'autorise la Constitution irakienne, après des arrestations de prétendus membres du parti Baas. Depuis, deux autres provinces à majorité sunnite, Anbar et Diyala, ont affiché le même projet. "Les sunnites se disent : puisque Bagdad est aux mains des chiites, faisons nous-mêmes notre printemps arabe en revendiquant notre autonomie", décrypte Karim Sader.
Sauf que le chef du gouvernement s’y oppose fermement et multiplie depuis deux mois les arrestations, majoritairement dans la communauté sunnite, invoquant des raisons sécuritaires.
"Jeu dangereux"
Selon Michel Goya, directeur de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l'école militaire et historien,
cette situation de crise qui a pris de l’ampleur
après le départ des troupes américaines était prévisible. "La réconciliation intercommunautaire n’a jamais eu lieu, explique-t-il, et l’enjeu actuel n’est nul autre que la place des sunnites dans le pays et dans cette démocratie très imparfaite."
Or, justement, le penchant autoritaire de Nouri al-Maliki ne fait que mettre de l’huile sur le feu, en entretenant le sentiment de marginalisation des sunnites, selon des observateurs de la scène politique irakienne. "De plus en plus, le pouvoir de Maliki tend à devenir autoritaire, tant l’homme de compromis qu’il était encore en 2006 essaye d’accroître son pouvoir personnel", souligne Michel Goya, auteur de "Irak, les armées du chaos".
Une "dictature dont les méthodes n’ont rien à envier à celles de Saddam Hussein", selon Karim Sader. Qui ajoute : "Les chiites rechignent à partager le pouvoir avec les autres communautés et en s’accaparant le pouvoir, Nouri al-Maliki joue à un jeu dangereux qui pourrait aboutir à une guerre civile et à la partition du pays."
Ce net regain de tension interconfessionnelle entre chiites et sunnites inquiète les Etats-Unis, qui ont mis fin à huit années de présence dans le pays. Le vice-président américain, Joe Biden, s'est entretenu mardi 20 décembre par téléphone avec Nouri al-Maliki, l'appelant à régler "dans le dialogue" cette crise politique qui menace de faire tomber le gouvernement d’union nationale,
un peu plus d’un an après sa formation. "L’Irak est face au dilemme classique entre retomber dans une dictature qui ferait taire les dissensions communautaires par la force ou tendre vers le démembrement du pays", conclut Karim Sader.