
Envoyé spécial aux Antilles – Posez vos questions à Willy Bracciano (photo), Eve Irvine, Cyril Vanier et Virginie Herz, nos envoyés spéciaux aux Antilles, où depuis plusieurs semaines les grèves paralysent l'activité économique.
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Question d'un internaute (23 février) : Bonjour, en France hexagonale, une suggestion que les Antillais abhorrent : Pourquoi ne onsommez-vous pas local? Et depuis, que les médias s'intéressent à cette crise, on dévoile que même ces derniers sont aussi, sinon plus chers. Pourquoi ces différences de prix?
Réponse de Willy Bracciano : La principale réponse des producteurs est le coût élevé des semences et des matières premières.
En effet, depuis plusieurs années, le cours des semences, des engrais et des carburants nécessaires à l’agriculture a beaucoup augmenté.
A cela vous devez ajouter des coûts de production élevés. En France, un salarié doit être payé au minimum au SMIC (environ 1300 euros bruts).
Par ailleurs, nous sommes dans une économie d’échelle. L’étroitesse du marché ne permet pas aux producteurs de pratiquer des prix compétitifs à ceux de la grande distribution, qui elle a un volume de stocks plus important, acquis à bon marché.
Ce problème n’est pas spécifique aux Antilles françaises. Souvenez-vous des émeutes de la faim en 2008, en Haïti. Les agriculteurs que j’avais rencontrés me faisaient part de ces même problèmes : augmentation du coût des matières premières et concurrence des produits importés.
Question de Issouf Kamagaté, en Côte d'Ivoire (21 février) : Si les les Antilles font partie de la France d'Outre-mer, pourquoi les prix de leur produit sont différents de ceux de la France ? Pourtant c'est un département francais. J'aimerais que les envoyés spéciaux m'éclaircisse sur ce fait. Merci.
Réponse de Willy Bracciano : Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette différence de prix. Tout d'abord il faut considérer l'insularité de la Guadeloupe et de la Martinique. La grande majorité des produits est importée.
Pour schématiser, il faut voir le trajet du produit comme une grande chaîne tout au long de laquelle il sera taxé :
- Fret + assurance
- Octroi de mer + octroi de mer régional
- Droits de douanes + droits de port + taxes diverses
- Transitaire local + débarquement
- Transport terrestre + dépotage + TVA
- Grossiste
- Distributeur
Nota : L'octroi de mer est une vieille taxe coloniale qui frappe principalement les produits importés dans les DOM, assurant d'importantes recettes aux collectivités régionales et aux communes ultra-marines.
Questions de Venance Atchori, en Côte d'Ivoire (20 février) :
1. "Pourquoi le gouvernement français a-t-il attendu qu'il y ait un mort avant que le président Nicolas Sarkozy se décide à recevoir les représentants de l'Etat de ces territoires ?
Réponse de Willy Bracciano : Le président Sarkozy avait décidé de cette rencontre bien avant le décès de Jacques Bino.
2. "Pourquoi le gouvernement ne discute-t-il pas directement avec les représentants syndicaux ?"
Réponse de Willy : Le secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, lors de son passage à la Guadeloupe et à la Martinique, a rencontré les syndicats. Puis il a passé la main aux médiateurs et aux préfets de Région. Le préfet représente l'Etat.
3. Derrière ces manifestations, ne se cache t-il pas d'autres revendications voilées?
Réponse de Willy : Certainement. Certains groupes autonomistes, par exemple, en profitent pour mobiliser leurs troupes et tentent de faire passer leur message auprès d'une population fragilisée par la crise économique qui sévie.
Question d'Olivier Brou, en Côte d'Ivoire (18 février) : "Est-ce que le vrai problème des Antillais, Martiniquais, Guadeloupéens et autres, n'est pas en réalité la réclamation d'un Etat en bonne et due forme au lieu d'être un Département d'outre-mer ?"
Question de Miete, en Côte d'Ivoire (15 février) : "La crise dans ces îles a-t-elle un rapport avec la crise mondiale ou s'agit-il des conséquences d'une mauvaise gouvernance interne à la Martinique ?"
Réponse de Willy Bracciano : "J'ai posé cette question à Jean Crusol, un économiste martiniquais. Selon lui, cette crise a deux causes principales.
La première, d'ordre conjoncturel, est la détérioration rapide du pouvoir d’achat qui a touché les familles modestes au cours de 2007 et 2008, détérioration liée à la crise mondiale. En l'espace d'un an, les prix des principaux produits alimentaires et de l’énergie se sont considérablement accrus. Le prix de la farine de froment, par exemple, a augmenté de 77 % en Guadeloupe, celui du riz de plus de 40 % en Martinique et 30 % en Guyane. Le prix moyen des produits d'alimentation des foyers modestes (farine, pâtes, riz, poulet, porc, etc.) a augmenté de 18 % en Guadeloupe et de 8 % en Martinique, contre seulement 3 % pour le salaire minimum (Smic) !
Quant au prix de l’essence, directement à l’origine des manifestions massives en Guyane, il a augmenté très fortement, jusqu’en août 2008, même si, sous la pression populaire, il a quelque peu baissé depuis. Ce qui s’est traduit par une augmentation importante des prix du transport et de certains services. A cela s’ajoute, sans doute, les décisions stratégiques des grandes surfaces qui, voyant diminuer leurs produits financiers du fait de l’effondrement de la rentabilité boursière, ont pu accroître leurs marges sur les produits de grande consommation pour compenser la diminution de leur trésorerie.
La seconde cause est structurelle. Les économies de ces régions insulaires sont dépendantes des importations. Ces dernières fournissent une proportion extrêmement élevée des produits alimentaires et de première nécessité et la totalité des consommations de produits énergétiques. Conséquence : l’impact des chocs extérieurs est transmis avec force à l’ensemble de l’économie, puisqu’il n’existe pas de véritable production locale capable d’amortir les chocs extérieurs.
D’autre part, les nombreux intermédiaires intervenant dans les circuits d’importation (importateurs, Etat et collectivités locales, grossistes, grande distribution, etc.) prélèvent leurs marges au passage sur les produits importés. Ainsi, les prix rendus sur le marché des Antilles et de la Guyane représentent le double, le triple - voire parfois plus - du prix d’origine sur le marché métropolitain ou extérieur.
Ce phénomène ne date pas d’aujourd’hui. Il renvoie à la structure coloniale originelle de ces économies. Mais il est amplifié, par un effet d’accordéon, dans la mesure où certains acteurs de la chaîne d’importation ne se gênent pas pour accroître leurs marges, en contournant les règlements de la concurrence et des prix, ou en abusant de positions dominantes et de monopole."
Question d'un internaute guyanais (15 février) : "Quel est, de façon précise, le problème concernant les produits dits 'de première nécessité' ?"
Réponse de Willy Bracciano : "Avant son départ pour la métropole, Yves Jégo, le secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, a présenté, le 12 février, 39 propositions qu'il a soumis au collectif intersyndical "du 5 février". Parmi celles-ci, la baisse de 20 % "avant la fin du mois de février" des prix de 100 produits de première nécessité, que le collectif avait obtenue lors de négociations en préfecture, le 10 février.
Après le départ d'Yves Jégo, le préfet Ange Mancini fut chargé de poursuivre les discussions avec le collectif pour signer un protocole d’accord. Mais à ce jour les discussions n’ont pas pu aboutir.
De fait, le collectif réclame une baisse de 20 % sur des familles de produits. A titre d’exemple, il souhaite que la baisse soit appliquée à toutes les marques de riz et non pas à une marque en particulier. Mais la grande distribution ne l’entend pas de cette oreille. Et souhaite établir une liste de 100 marques sur lesquelles serait appliquée la baisse de 20 %.
C’est donc sur ce désaccord que les discussions ont été rompues, le 14 février 2009, en Martinique."