Au Maroc, de nombreux couples continuent de se marier sans acte de mariage : une tradition qui a des conséquences pour l'épouse ainsi que pour les enfants et contre laquelle l'État n'a de cesse de lutter.
Après plus de sept ans de mariage, Hamid S., fermier dans un petit village (Ba Mohamed) des alentours de Fès ( nord-est du Maroc), pense enfin à officialiser son mariage. Il explique : “On m’a expliqué l’intérêt d’un acte de mariage."
Sa position n'est pas étrangère à la campagne de sensibilisation menée par le gouvernement marocain afin de convaincre les gens d'officialiser les mariages effectués sous le régime de la Fatiha - une tradition au Maroc : un mariage sans acte de mariage, où l'on récite la Fatiha (Sourate du Coran) devant deux témoins. C'est ensuite que le couple concerné devient marié aux yeux de son entourage.
Comme bien d’autres Marocains, surtout dans les régions montagnardes (où le taux d'analphabétisme est souvent très élevé), Hamid a eu recours au mariage par la Fatiha. Pour lui, il s'agit d'une tradition. “Dans ma famille, on se contente de la Fatiha. Mes parents se sont mariés de cette façon.” Il s'agit d'un mariage autorisé en cas d’absence d'Etat civil.
“Les militaires se marient beaucoup par la Fatiha pour échapper à l’accord de leur hiérarchie”
Désormais, cette pratique est critiquée pour de multiples raisons. "C'est un moyen de se détourner des lois, du partage des biens entre époux, de la pension alimentaire et de l'affiliation des enfants", s'indigne Malika ben Mahi, présidente de l'Association marocaine pour la promotion de la femme rurale.
Selon un juge du tribunal de première instance de Ksar el-Kébir, ce sont souvent des gens analphabètes qui ont recours au mariage par le biais de la Fatiha. Il estime aussi que ce type d'union est plus répandu parmi les habitants des régions montagnardes du Maroc (Rif et Atlas).
Il ajoute : “Ils n'ont souvent pas d’Adoul (auxiliaire de justice,notamment chargé de rédiger l'acte de mariage) à leur disposition et habitent loin des tribunaux et des administrations.” Face à ces contraintes géographiques, ces Marocains “se contentent de se marier par la Fatiha pour rendre public leur mariage et afin que le couple soit toléré à vivre en communauté par l'entourage, les voisins, etc.".
Outre son taux élevé dans les milieux ruraux, le mariage par la Fatiha serait également courant chez les militaires (même dans les grandes villes), selon un juge spécialisé dans les affaires familiales, à Ouarzazate (Sud). Le but étant, selon ce dernier, d'échapper à la longue attente d’une autorisation qui doit leur être accordée par leur hiérarchie.
"Une autre motivation peut être celle de la polygamie", affirme ce juge de Ouarzazate. "Certains hommes polygames se tournent vers une mariage par le biais de la Fatiha, car ils savent que le juge ne leur accordera pas d'autorisation (obligatoire depuis 2004) pour une seconde union."
En effet, un magistrat peut refuser un mariage s'il estime qu’un mari n'aura pas les moyens (argent, logement...) suffisants afin de pourvoir aux besoins d'une deuxième épouse. Le juge peut également refuser, si la première épouse n'accepte pas la polygamie demandée par son mari.
Ainsi, certains hommes, peu scrupuleux, en viennent à mettre les juges devant le fait accompli, selon Malika ben Mahi : "Un homme se marie via la Fatiha avec une énième femme puis, après avoir eu des enfants avec cette dernière, se présente face au juge pour officialiser sa nouvelle union. Avec la présence des enfants, et après confirmation de la paternité, le juge finit souvent par rédiger l'acte de mariage."
La campagne de sensibilisation du ministère de la Justice "a été un succès"
Pour mettre fin à cette pratique, l'Etat marocain a décidé d'agir, par la sensibilisation, contre cette forme de mariage.
Le juge de Ouarzazate raconte : "Des magistrats se déplacent dans les régions éloignées et prennent en charge toutes les procédures administratives pour officialiser, sur le champ, de nombreux mariages illégaux. " Il ajoute que le passage des juges est précédé par celui de représentants locaux du ministère de la Justice. Le discours de ces derniers ciblant notamment une population analphabète. Ces officier du ministère de la Justice insistent alors sur l'intérêt et la nécessité d'un acte de mariage.
Juges et associations féministes se félicitent aujourd'hui des campagnes de sensibilisation du gouvernement, menées depuis 2004. En effet, le Code de la famille marocain, connu sous le nom de Moudawana, instauré cette année-là, avait imposé l'inscription d'un acte de mariage pour tout lien conjugal. Le Code accorde également un délai de cinq ans pour permettre aux couples mariés via la Fatiha d'officialiser leur relation.
Hamid S. n'a pas respecté ce délai, écoulé pour lui depuis le 5 février 2009. Il se dit néanmoins prêt à officialiser son union plus tard, pour la scolarisation de son fils. Concernant des cas similaires, le ministère de la Justice étudie actuellement une loi qui accorderait une deuxième chance aux retardataires et, surtout , à ceux qui habitent dans des régions lointaines, donc difficiles d’accès. Le législateur envisagerait ainsi une prolongation de cinq ans, à compter de 2009, ce qui donnerait alors une décennie à ces couples pour officialiser leur union.
Ce délai permettra-t-il de mettre fin aux mariages par la Fatiha ? Mme Ben Mahi reste sceptique. Elle s'inquiète de "la mauvaise foi de certains hommes" qui risque de rendre difficile la tâche de l'Etat. Selon elle, il n'est pas dans leur intérêt de supprimer le mariage par la Fatiha : "Ils veulent toujours avoir leur femme à la maison pour pouvoir la taper, faire des enfants, sans lui permettre de s'émanciper ou de pouvoir hériter." Elle ajoute que des mariages par la Fatiha risquent ainsi de perdurer, parce que, dit-elle, “ces gens se cachent et l’Etat ne peut pas jouer au gendarme dans ce cas de figure”.