Silvio Berlusconi présentera sa démission dès que le Parlement aura adopté les réformes économiques réclamées par l'Union européenne. La fin de 20 ans de vie politique pour le Cavaliere ? Éclairage avec Pierre Musso, spécialiste des médias italiens.
Silvio Berlusconi a finalement accepté de démissionner après l'adoption des mesures promises à l'Union européenne. Faut-il y voir sa fin politique ?
Pierre Musso : Non pas du tout. Silvio Berlusconi va présenter sa démission à la fin du mois de novembre. Le calendrier actuel prévoit l'approbation des mesures de "stabilité" d'ici au 18 novembre au Sénat et d'ici à la fin du mois à la Chambre des députés. Mais l’Italie est un système bicaméral où la Chambre des députés et le Sénat ont exactement le même poids. Berlusconi garde la majorité au Sénat donc il reste incontournable. Par ailleurs, il est le dirigeant du premier parti italien, le Peuple de la Liberté (PLD), et il a profondément marqué la vie politique et culturelle du pays.
Quelles sont les conséquences de cette démission ? A quoi faut-il s’attendre par la suite ?
P.M. : Dès que Berlusconi aura démissionné, le président Napolitano prendra les affaires en main et convoquera tous les partis politiques pour tenter de former un nouveau gouvernement. Il y aura alors trois cas de figure:
Premier scénario : l’ensemble des partis de la Chambre des députés, dont le PLD et la Ligue du Nord, se mettent d’accord pour une alternative. Dans ce cas, deux figures sont pressenties pour présider le Conseil : Mario Monti, ancien commissaire européen qui a la confiance des financiers, et Giulio Tremonti, brillant économiste du gouvernement [actuel ministre des Finances ndlr]. Mais il y a une très faible probabilité que cela arrive car la Ligue a déjà dit non.
Deuxième scénario : la majorité s’élargit aux centristes. La Ligue du Nord et le PLD - actuellement au pouvoir - s’unissent avec le petit parti de centre droit l’Union Démocrate Chrétien (UCD) et conservent ainsi la majorité à la Chambre. Berslusconi ne resterait pas leader mais pourrait passer la main à Angelino Alfano, son dauphin qui est depuis 2008 ministre de la Justice et secrétaire général du PDL, ou à Gianni Letta, son bras droit et éminence grise.
Troisième scénario : le président Napolitano ne parvient pas à former un nouveau gouvernement, faute d’une majorité suffisante. Il dissoudrait alors la Chambre pour organiser des élections anticipées [par rapport au terme normal de 2013 ndlr]. Mais elles n’auront pas lieu avant fin février et pendant trois mois l’Italie resterait dans l’instabilité alors que chaque heure qui passe est un peu plus soumise à la pression de la crise.
Silvio Berlusconi se réaffirme donc comme fin stratège politique avec cette démission….
P.M : Napolitano est pris entre deux contraintes et Berslusconi joue une partie de poker car les sondages le donnent perdant. Mais si son parti sort gagnant des élections, il pourrait se présenter à l'élection présidentielle de 2013.
L’Italie joue une partie d’échec, voire un jeu de go avec un peu de poker ! Avant que Berlusconi ne soit aux affaires, la caractéristique de l’Italie était l’instabilité. Berlusconi a gouverné plus de 3300 jours, en 4 gouvernements. Plus que n’importe qui avant lui. Son départ est autant une solution qu’un problème. Si Berlusconi part : qui mettra-t-on à sa place ? Quelle alliance ? Quelle stabilité ? Berlusconi joue là-dessus.
Vous parlez de l’influence culturelle de Silvio Berlusconi. Qu'entendez-vous par là ?
P.M : L’Italie est l’unique démocratie au monde où l’exécutif a une telle influence sur les médias. Berlusconi est la deuxième fortune du pays, il est le propriétaire d’un empire médiatique dont il est toujours - avec sa famille - le principal actionnaire. Il a imprégné l’imagination des Italiens depuis trente ans en développant une nouvelle culture commerciale, la culture de l’"entertainment", de l’entreprise, la critique du politique, etc. Et ce avant même d’être aux affaires. Il a fait dans un autre contexte le même genre de révolution que Margaret Thatcher en Grande-Bretagne. Alors après 20 ans aux affaires et 30 ans dans les medias, malgré sa baisse de popularité, les Italiens l’admirent. Il faut bien se rendre compte que l’Italie - qui fête cette année les 150 ans de son unification - a une culture politique assez récente. Vingt ans de pouvoir sur 150 ans de vie politique, ce n’est pas négligeable.
Selon vous, ce n’est pas la fin de Berlusconi. Mais sa démission est néanmoins un aveu d’échec. Qu'est-ce qui l'a conduit à cette situation ?
Il y a également l’usure normale du pouvoir. A cela s’ajoutent
ses frasques, qui lui ont fait perdre
l’électorat des femmes et
le soutien des chrétiens et du Vatican; ses affaires judiciaires, dans un pays où les juges sont très respectés ; la crise sociale et le mécontentement de la population inquiète de la précarisation de la jeunesse et de la paupérisation des familles du sud de l’Italie ; et enfin, la crise économique et financière. Cette crise multiforme explique aujourd’hui sa baisse de popularité dans les sondages : 69% des Italiens ne lui font plus confiance aujourd’hui. Le revirement politique était inéluctable mais, ce n’est pas la fin du "berlusconisme".
Pierre Musso est professeur de sciences de l'information et de la communication à l'Université de Rennes II et spécialiste des médias italiens. Il est l’auteur notamment de "L'Italie et sa télévision" (avec G. Pineau, ed. Champ Vallon), "Berlusconi, le nouveau Prince" (ed. de l'Aube, 2004), et "Sakoberlusconisme, la crise finale?" (ed. de l'Aube, 2011).