
Les Palestiniens Nizar et Ahlam Tamimi, condamnés pour terrorisme en Israël, ont été relâchés en échange du soldat israélien Gilad Shalit. Mariés en prison, ils ne se sont vus que deux fois en treize ans. Une histoire d’amour peu commune...
L’histoire d’Ahlam et de Nizar Tamimi pourrait devenir aussi symbolique en Palestine que Roméo et Juliette en Europe - en version nettement plus trash. Une histoire d’amour qui défie quelque peu le sens commun... Ahlam et Nizar, mariés en 2005, ne se sont vus que deux fois dans leur vie, à travers le parloir d’une prison. Tous deux condamnés à des peines d’emprisonnement à vie pour terrorisme, ils ont été relâchés mardi en échange de la libération du soldat israélien Gilad Shalit. Mais cette libération les sépare de nouveau : elle, envoyée en Jordanie, lui, assigné à résidence à Ramallah.
La première fois qu’ils se sont rencontrés, c’était le 10 décembre 1998 à la prison d’Ashkelon, en Israël. Nizar, combattant du Fatah, y purge alors une peine de prison à perpétuité après avoir été jugé coupable, en 1993, de l’enlèvement et du meurtre d’un Israélien dans la colonie de Beït El, dans les faubourgs de Ramallah.
Une rencontre décisive
À cette date, Ahlam - "rêves" en arabe - vient d’entamer ses études de journalisme à l’Université Bir Zeït, à une quarantaine de km de la prison. Nizar est un cousin éloigné. La jeune femme ne l’a jamais vu. Mais, devoir familial oblige, elle se doit de lui rendre visite.
"Cette rencontre a vraiment fait date dans ma vie", témoigne aujourd’hui Nizar, joint au téléphone par France 24. "C’est la première visite que je recevais depuis mon incarcération, cinq ans auparavant. Nous nous sommes tout de suite bien entendus", poursuit-il, pudiquement. Pendant trois ans, les deux jeunes gens s’écrivent. De longues lettres régulières qui, peu à peu, les rapprochent. Puis un soir de 2001, coup de théâtre : en regardant le journal télévisé, Nizar apprend l’arrestation et la condamnation de sa cousine, devenue présentatrice pour la télévision palestinienne.
"C’était pendant l’Intifadah d’Al-Aqsa [seconde Intifadah, NDLR], se souvient Nizar. J’ai vu son visage à la télé et j’ai entendu qu’elle avait été condamnée à la prison à vie." Combattante du Hamas, elle reconnaît avoir organisé et planifié l’attentat-suicide de la pizzeria Sbarro à Jerusalem-Ouest, en août 2001. Quinze personnes y ont péri et des centaines d’autres ont été blessées. La jeune femme, alors âgée de 22 ans, est emprisonnée à Sharon, dans le nord d’Israël.
"Nous avons continué d'échanger des lettres", poursuit Nizar, 38 ans aujourd’hui. "Elles mettaient un mois à arriver parce que nous nous écrivions via nos familles, qui les renvoyaient. La prison nous a beaucoup rapprochés. On a espéré et on a rêvé ensemble. Elle m’a aidé à tenir et m’a donné la force de me battre", témoigne-t-il.
Mariage par procuration
Peu à peu, une évidence s’impose : ils doivent se marier, pour "officialiser cette relation". Un chemin de croix commence. Ils déposent plusieurs demandes auprès de l’administration israélienne - toutes refusées. Finalement, ils parviennent à obtenir des procurations. Le père de Nizar et le frère d'Ahlam se rendent à Ramallah pour marier les deux jeunes gens. Chacun de son côté, Nizar à Ashkelon et Ahlam à Sharon, fête cette union avec ses co-détenus. Leur nuit de noce, ils la passeront chacun dans leur cellule, séparés.
En cinq ans, ils ne parviennent à se voir qu’une seule fois, en mars 2010. "Les autorités israéliennes invoquaient des risques de menaces pour la sécurité d’Israël et nous refusaient toutes les demandes", raconte Nizar. Finalement, grâce à l’intervention des services de sécurité palestiniens, puis israéliens, mari et femme parviennent à se voir. "Nous nous sommes vus dans un parloir. Nous nous sommes parlé au téléphone, comme lors de notre première rencontre, sept ans auparavant", poursuit l’homme.
En fin de semaine dernière, Nizar apprend que sa femme et lui font partie des 1 027 prisonniers palestiniens qui seront libérés en échange de Gilad Shalit, retenu depuis cinq ans par le Hamas. Nizar devra retourner dans sa famille à Ramallah, et la jeune femme devra s’installer en Jordanie. "J’ai ressenti tellement de joie ! Mais j’ai aussi eu le cœur serré car je sais que je serai encore éloigné d’Ahlam", soupire-t-il. Et d’ajouter : "J’ai déjà commencé à faire les démarches nécessaires pour obtenir l’autorisation de me rendre en Jordanie. Je sais maintenant que l’espoir de la voir bientôt n’est pas vain."