Après les sanglants affrontements de dimanche au Caire entre manifestants coptes et forces de l'ordre, l'Égypte veut comprendre. Le contexte : des coptes de plus en plus stigmatisés, des soupçons de manipulation politique et une armée discréditée.
À la suite des affrontements qui ont éclaté dimanche soir au Caire entre coptes et forces de l'ordre, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) a demandé au gouvernement de mener une enquête "rapide" sur les heurts les plus violents depuis la chute de Moubarak. Le dernier bilan des événements fait état d'au moins 24 morts et de 272 blessés, dont une grande majorité de chrétiens, ainsi que des dizaines d’arrestations, selon les médias d'État.
L’enquête et les éventuels procès qui en découleront seront complexes à mener. D’une part, parce qu’ils seront dirigés par des tribunaux militaires, a annoncé le ministre de la Justice, Mohamed Abdel Aziz el-Gouïndi - ce qui signifie que l’armée sera à la fois juge et partie. D’autre part, parce que les faits restent confus...
Un rassemblement qui mêlait coptes, musulmans et laïcs
Dimanche soir, les membres de la communauté copte s’étaient donnés rendez-vous devant le siège de la télévision d’État, comme régulièrement depuis la chute de l’ancien régime. Au pied du bâtiment, les manifestants se sentent en sécurité : il est sécurisé par l’armée, si bien que salafistes et islamistes n'y vont guère. L'endroit est donc plus sûr que la place Tahrir.
Depuis l’incendie d’une église dans la province d’Assouan (sud du pays) imputé à des musulmans extrémistes, le 30 septembre dernier, les coptes s’étaient déjà réunis devant la télévision d’État (mardi). Ils protestaient contre la lenteur de l’armée à intervenir pour éteindre le feu et réclamaient le limogeage du gouverneur d’Assouan, Mostafa el-Sayed, qui avait accusé les coptes d’avoir édifié une église sans permis. L'affirmation avait mis le feu aux poudres...
"La manifestation de mardi dernier avait été durement réprimée par l’armée", rappelle Sonia Dridi, correspondante de France 24. "Les coptes souhaitaient donc se réunir de nouveau, dimanche soir, pour protester cette fois contre le durcissement de la répression militaire et réclamer l’établissement d’un pouvoir civil. "Un mot d’ordre auquel se sont ralliés bon nombre de militants du mouvement du 6-avril et d’autres personnes qui ont participé à l’occupation de la place Tahrir, en janvier et février dernier. "Devant les bâtiments de la télévision d’État, il y avait une majorité de coptes, mais aussi un grand nombre de pro-démocrates, musulmans ou laïcs, qui s’insurgent contre la répression de l’armée. Le mot d’ordre était pacifiste", a pu constater Sonia Dridi.
Manifestation infiltrée ?
Alors, qui a provoqué les violences ? Pas les chrétiens, soutient Naguib Gebrael, avocat, responsable de l’association de défense des droits de l’Homme Egyptian Federation of Human Rights et membre de cette communauté. "Nous n’avions que des revendications pacifiques, nous réclamions nos droits et la reconstruction d’une église en ruine. Nous n’étions pas armés."
Pourtant, croit savoir Tamher Ezz el-Din, correspondant au Caire pour le canal arabophone de France 24, "certains manifestants portaient des bâtons et des cocktails Molotov, ils ont brûlé des véhicules. Alors, quand un soldat est mort, l’armée a décidé de réprimer la manifestation".
Dans une déclaration effectuée lundi, le pape Chenouda III, chef de l’église copte orthodoxe, a émis l’hypothèse que la manifestation a pu être infiltrée. "La foi chrétienne dénonce la violence. Des inconnus se sont infiltrés dans la manifestation et ont commis les crimes que l'on impute aux coptes."
Certains vont plus loin. Contacté par France24.com, le député Rafik Habib soupçonne les ex-caciques du régime Moubarak d’avoir provoqué ces violences. Quant au blogueur Adel Salib, également joint par France 24, il croit avoir reconnu des policiers en civil parmi les manifestants.
De nombreux observateurs s’accordent à dire que la situation a dégénéré quand un militaire a insulté les coptes, en direct, à la télévision d’État. La journaliste de l’AFP Inès Bel Aïba rapporte les faits sur Twitter : "Un soldat (ou policier) blessé" a déclaré sur la télévision publique égyptienne que les chrétiens sont des 'fils de chiens'".
L’armée a perdu sa crédibilité
Une prise de parole qui a échauffé les esprits. Des islamistes sont alors descendus dans la rue et s’en sont pris aux manifestants, qui scandaient le slogan : "Musulmans, chrétiens, une main."
Les rangs de l’armée ont en outre été rejoints par des individus "en jogging et tongs, des personnes qui se présentaient comme ‘volontaires’ et qui disaient : ‘On est là pour aider l’armée’", rapporte Sonia Dridi. Selon les témoignages recueillis par la correspondante de France 24, les véhicules de l’armée ont roulé sur des manifestants et ont causé la mort de plusieurs civils. "Ce sont des scènes d’horreur qui me sont décrites. Une atmosphère de guerre civile", affirme-t-elle.
Une violence qui alimente les craintes des chrétiens d’être de plus en plus persécutés en Égypte. Depuis le mois de mars en effet, les coptes s’estiment plus mal lotis que sous Moubarak. Difficulté à construire des édifices religieux, incendies d’églises... Naguib Gebrael estime que 93 000 coptes ont émigré depuis le mois de janvier. Le malaise serait arrivé à son apogée ce dimanche. "Jamais l’armée ou la police n’ont fait preuve d’une telle violence auparavant, lorsque des millions de personnes occupaient la place Tahrir", rappelle-t-il sur France 24.
Pour nombre d’Egyptiens toutefois, un affrontement confessionnel opposant les chrétiens aux musulmans n’a pas de réalité et ne relève que de manipulations politiques. L’armée, qui dénonce ce lundi "les efforts de certains pour détruire les piliers de l'État et semer le chaos", est notamment soupçonnée d’alimenter les tensions religieuses pour créer une tension sécuritaire et justifier son maintien au pouvoir. Une tension entretenue par la télévision d’Etat, qui rend les chrétiens responsables de ces violences...
"Plutôt qu’un clash entre chrétiens et musulmans, ce que j’ai observé dimanche soir c’est l’incompréhension grandissante entre l’armée et le peuple", analyse Sonia Dridi. "L’armée a été idéalisée durant les événements de la place Tahrir, elle était vue comme la protectrice du peuple. Mais, aujourd'hui, cette admiration est en train de décliner fortement", conclut-elle.