logo

Foldit, le jeu qui défie la communauté scientifique

Un jeu en ligne vient de reconstituer en deux semaines la structure d’une enzyme jouant un rôle dans la propagation d’une variante du virus du sida chez le singe. En 15 ans, les scientifiques n’avaient pas résolu l'énigme...

Ce que des scientifiques n’avaient pas réussi à faire en près de 15 ans, des accros aux jeux vidéo y sont parvenus en un peu moins de deux semaines. La très sérieuse revue scientifique américain Nature a en effet révélé le 18 septembre que les amateurs du jeu scientifique en ligne Foldit (“Plie-le”) avaient accompli l’exploit de remodeler en 3D la structure d’une enzyme (baptisée M-PMV) présente dans un virus qui s’apparente au sida chez le singe.

Cette avancée scientifique a été qualifiée d’”extraordinaire” par Zoran Popovic, le directeur du Centre de jeux scientifiques de Washington qui chapote le projet Foldit. La connaissance de la structure de l’enzyme permettrait en effet de “l’empêcher de proliférer dans le corps d’un patient” car les traitements qui lui seront alors administrés pourront être plus ciblés. “La proximité entre le virus chez le singe et chez l’homme ouvre par ailleurs des perspectives thérapeutiques pour les être humains”, confirme une scientifique française basée à Bâle (Suisse) jointe par FRANCE 24.

Un enthousiasme que tient toutefois à tempérer l’association de lutte contre le sida Aides. “Depuis une quinzaine d’années, il existe déjà des médicaments pour lutter contre la prolifération de ces enzymes”, explique Franck Barbier, responsable santé chez Aides, contacté par FRANCE 24. Celui-ci juge néanmoins la trouvaille “intéressante, dans la mesure où elle peut permettre d’améliorer les traitements, notamment en réduisant leurs effets indésirables”.

Créativité humaine

Quelles que soient les retombées exactes de la "découverte" de Foldit en matière de lutte contre le sida, celle-ci lui a permis de s'offrir un sacré coup de pub. “Depuis la parution de l’article dans Nature, les serveurs qui hébergent le jeu sont saturés et ne fonctionnent plus”, relève Zoran Popovic.

Foldit, qui existe depuis 2008, n’en est pourtant pas à son coup d’essai. Nature avait déjà consacré, l’année dernière, un article sur la manière dont le jeu avait permis de remodeler plusieurs protéines dont la structure en 3D échappait aux scientifiques.

“Dans Foldit, nous soumettons aux joueurs - sous forme de puzzle - des problèmes que nous apportent des scientifiques”, explique Zoran Popovic. Ils se présentent sous forme de chaînes d’acides aminés (les composants des protéines) modélisés en 3D que les joueurs peuvent ensuite triturer dans tous les sens avec les règles de la chimie moléculaire pour seules limites imposées par le programme. Ces derniers travaillent par équipe afin de trouver une structure la plus proche possible de la forme finale de la protéine. Ces modèles sont ensuite présentés à des scientifiques qui les testent en laboratoire pour vérifier si les résultats sont conformes à la réalité.

Pour la communauté scientifique, Foldit est une aubaine : des centaines, voire des milliers, de personnes travaillent pour eux gratuitement à des énigmes non résolues. Il y a actuellement 600 000 personnes inscrites à ce jeu en ligne, “avec une communauté de 600 à 1 000 membres très actifs”, précise le directeur du Centre de jeux scientifiques.

Ces volontaires n’ont, pour la plupart, aucune formation scientifique “mais, à force de manipuler des protéines en ligne, ils deviennent des experts dans ce domaine”, estime Zoran Popovic.

Autre avantage de ce jeu : “la créativité des cerveaux humains, surtout lorsque les gens travaillent ensemble, ne connaît pas les limites des ordinateurs utilisés en laboratoire pour tenter de reconstituer ces protéines”, souligne la même scientifique française installée à Bâle. Comme les joueurs habitent sur tous les continents, il n’y a, en plus, jamais de temps mort. “Un luxe que n’ont pas les chercheurs en laboratoire”, confirme Zoran Popovic.

Actuellement, tous ces joueurs qui planchent en moyenne sur deux énigmes par semaine travaillent sur la création d’une protéine synthétique qui permettrait de rendre l’organisme plus résistant à toute une série de maladies. “On vient même d’envoyer les résultats à Nature !”, conclut Zoran Popovic.