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Drones au-dessus du Danemark : tous les chemins maritime mènent à la Russie ?
Parmi les pistes pour identifier les responsables de l’envoi de drones au-dessus d’aéroports au Danemark, l'une mène à plusieurs navires ayant des liens avec la Russie. Cette hypothèse de bateaux servant de plateforme de lancement de drones en mer Baltique soulève de nombreuses questions quant aux contours de la guerre hybride dans cette région.
L'enquête sur les drones qui ont survolé plusieurs aéroports au Danemark inclut la piste de trois navires ayant des liens avec la Russie. via REUTERS - Steven Knap

Astrol-1, Pushpa et Oslo Carrier-3. Tels sont les noms de trois navires suspectés d’avoir joué un rôle dans le survol de l’aéroport de Copenhague par des drones le lundi 22 septembre.

La police de la capitale danoise a confirmé à France 24, mercredi 24 septembre, que l’analyse de "données relatives à la présence de navires dans la zone d’où des drones ont pu décoller et atterrir fait partie de l’enquête". Les recherches sont menées conjointement par "la police, les services de sécurité, l’armée et d’autres autorités nationales et supranationales", a-t-elle précisé.

Deux cargos et un pétrolier suspectés

L'origine des drones représente l’une des grandes inconnues dans l’enquête autour de cet incident, qualifié par gouvernement danois "plus grave attaque contre une infrastructure critique" du pays. Le survol de l’aéroport de Copenhague avait conduit à l’interruption de tout trafic aérien au Danemark pendant plusieurs heures lundi soir. Les aéroports de Copenhague et d'Oslo, en Norvège, n’ont rouvert que mardi matin.

De nouveaux drones ont été aperçus au-dessus de quatre autres aéroports jeudi, dont celui d’Aalborg, au nord du Danemark, qui a été fermé temporairement.

Sans désigner ouvertement de coupables, la Première ministre Mette Frederiksen a affirmé que l’incident "s'inscrit dans l'évolution que nous avons pu observer dernièrement avec d'autres attaques de drones, des violations de l'espace aérien et des cyberattaques contre des aéroports européens". Des références à d’autres incidents impliquant des drones survolant la Pologne et de l’Estonie et dans lesquels Moscou a été mis en cause. 

Drones au-dessus du Danemark : tous les chemins maritime mènent à la Russie ?

Trouver d’où les drones sont partis pourrait permettre d’identifier les responsables. D’autant plus que les trois navires cités par les médias danois ont tous des liens plus ou moins établis avec la Russie. Il s’agit de deux cargos et d’un pétrolier qui ont été identifiés par des observateurs et des analystes de sources ouvertes à la recherche de bateaux au comportements suspects.

Le cargo Astrol-1 a, par exemple, eu une "trajectoire erratique avec un grand nombre de zigzags" avant de passer à proximité de Copenhague, a indiqué Peter Moller, le journaliste de la chaîne de télévision TV2 qui a analysé le périple de trois vaisseaux. "Une trajectoire suspecte est tout ce qui sort de l’ordinaire, car un bateau n’a pas de raison, à priori, de ne pas utiliser le chemin le plus court pour aller d’un point à un autre. Donc s’il tourne en rond, s’il zigzague, cela peut éveiller les soupçons", résume Alexander Lott, spécialiste des questions de droit et de sécurité maritime à l’université arctique de Norvège.

Faire décoller des drones depuis un bateau ?

Ce navire de 117 mètres de long, battant pavillon russe, a quitté Arkhangelsk, au nord de la Russie, la semaine dernière pour rejoindre Saint-Pétersbourg, ce qui l’a fait passer par le détroit d’Oresund, au large de Copenhague. 

C’est aussi dans cet étroit détroit et à seulement 7 kilomètres de l’aéroport de Copenhague que se trouvait, lundi 22 septembre à 20 h 30, l’Oslo Carrier-3. Autrement dit, à l’heure précise où les drones ont été repérés. Cette coïncidence en a fait un suspect idéal… même si c’est, des trois navires, celui dont les liens avec la Russie sont les plus ténus. Une partie de l’équipage de ce cargo pourrait être russophone et son propriétaire, l’armateur norvégien Bulkship Management AS, dispose d’un bureau de recrutement à Kaliningrad, en Russie.

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Drones au-dessus du Danemark : tous les chemins maritime mènent à la Russie ?
© France 24
05:54

Le lien avec la Russie est plus évident dans le cas du troisième suspect. Le pétrolier Pushpa a beau naviguer sous pavillon béninois, il a été accusé de transporter du pétrole russe et d’appartenir à la "flotte fantôme" mise en place par Moscou pour contourner les sanctions occidentales. Et ce navire se trouvait également à proximité de l’aéroport vers 20 h 30 lundi, mais de l’autre côté de l’île Seeland et plus au sud de Copenhague.

Utiliser un bateau comme piste de décollage pour un drone a ses avantages. Par exemple, il est "relativement facile ensuite de se débarrasser des preuves de son implication", affirme Alexander Lott. Il s’agit aussi d’une plateforme de lancement "mobile, ce qui permet de partir rapidement si besoin et de se cacher", souligne Julian Pawlak, spécialiste de la sécurité maritime et de la région baltique à l’université de la Bundeswehr (l'armée allemande) à Hambourg. C’est aussi plus pratique : sans cela, dans le cas d’une opération russe, "il aurait fallu les lancer depuis un territoire russe comme Kaliningrad, ce qui aurait simplifié l’attribution, ou alors trouver une cachette sur le sol européen", ajoute Julian Pawlak.

Il n’en reste pas moins un défi majeur : comment lancer un drone depuis un navire ? "Tout dépend du type de drones, car on ne sait pas encore précisément quels modèles ont survolé les aéroports. La taille et le mode de décollage comptent. Les petits drones, qui s’élèvent verticalement, peuvent être lancés depuis des bateaux même petits. C’est beaucoup plus difficile pour les larges modèles avec des ailes fixes, qui ont besoin d’une plus grande surface de lancement pour décoller", décrypte Bruno Oliveira Martins, spécialiste des questions de sécurité liées aux technologies émergentes au Peace Research Institute Oslo (Prio).

Les aéroports, des cibles de choix

Les navires peuvent par ailleurs être impliqués même si les drones décollent d’un autre lieu, plus au sec. Dans ce scénario, le bateau fait office de centre de commandement flottant "qui vient en soutien et d’où opère, par exemple, le pilote des drones", précise Bruno OIiveira Martins. 

Pour cet expert, si des bateaux font vraiment partie de cette opération, "c’est un plan très audacieux et ingénieux". En effet, "on sait que les drones sont considérés comme un problème majeur pour les aéroports", et recourir à des navires permet de rendre la menace beaucoup plus proche que s’il fallait, pour les Russes, envoyer les drones depuis leur territoire, explique Bruno Oliveira Martins.

Les aéroports représentent aussi des infrastructures particulièrement difficiles à protéger contre ces engins. "Ce n’est, tout d’abord, pas toujours évident d’identifier les drones, car les radars servent aussi à suivre les avions et à faire attention à d’autres risques, comme les oiseaux. Ensuite, comment les neutraliser ? Les autorités des aéroports ne peuvent pas décider d’abattre les drones, et utiliser les technologies de brouillage de signal des drones risquerait de créer des interférences pour les avions", assure Bruno Oliveira Martins.

La région de la mer Baltique était déjà considérée comme "le point de convergence de toutes les tensions entre la Russie et les pays de l’Otan", assure Julian Pawlak. Mais c’était du temps où il n’était question "que" de sabotage de câbles sous-marins ou de "flotte fantôme" qui contournent les sanctions. L’ajout de drones à ce mélange le rend encore plus explosif.

"Pas de solution idéale"

"Il n’y a pas de solution idéale aujourd’hui pour se protéger contre cette menace", assure Julian Pawlak. D’abord parce légalement, il est difficile voire impossible d’empêcher des navires, même liés à la Russie, de naviguer sur ces eaux. "Il existe un principe de droit de passage inoffensif", note Alexander Lott. Pour que les gardes côtiers ou la police puissent intervenir, il faut prouver que le navire en question viole ce principe. Certes, les États ont expressément le droit d’agir "lorsqu’un navire sert au lancement, à l’atterrissage ou à l’embarquement d’aéronefs", précise-t-il. 

Mais encore faut-il pouvoir le prouver dans le cas des drones, ce qui n’est pas facile "sauf à prendre l’équipage la main dans le sac", ajoute cet expert en droit maritime.

Ensuite, même si les enquêteurs arrivent à la conclusion que les drones ont décollé de l’un des trois navires suspectés, le Danemark ne pourra pas pour autant accuser aussitôt la Russie. "Dans le cas d’avions, il est facile de dire que c’est un État qui est à l’origine de l’opération. Mais pour un drone, il peut s’agir d’acteurs non-étatique agissant éventuellement pour le compte d’un État", souligne Alexander Lott. Mais ce dernier, comme la Russie, pourra plus facilement nier toute implication.

C’est pourquoi, "les drones sont des instruments parfaits de guerre hybride", soutient Bruno Oliveira Martins. Et les survols d’aéroport au Danemark en sont une illustration parfaite. "Ils sont discrets, difficiles à intercepter, et il est compliqué de remonter la piste du donneur d’ordre. Sans compter qu’en cas de conflit ouvert, ils peuvent se transformer en véritables armes, comme on a pu le constater en Ukraine", conclut Bruno Oliveira Martins.