logo

Le difficile bilan économique du 11-Septembre

À ce jour, les estimations de l'impact économique des attentats du 11-Septembre varient de 60 milliards à plus de 4 000 milliards de dollars... Dix ans après les faits, les économistes ne sont pas encore tombés d'accord sur le coût des attaques.

Le montant de la dette souveraine américaine, qui a perdu son triple A à la suite d'une décision prise par l'agence Standard & Poor's le 5 août dernier, est-elle une conséquence des attentats du 11 septembre 2001 ? Dix années séparent les deux événements et, pourtant, Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie en 2001, n’hésite pas à établir un lien direct dans un article paru début août sur le site Project Syndicate, spécialisé dans l’économie et les relations internationales.

Pour l'économiste américain, la crise budgétaire de cet été aux États-Unis est, en effet, en grande partie liée à l’avalanche de dépenses décidées par Washington au lendemain du 11-Septembre. Selon lui, les guerres lancées en Afghanistan (octobre-novembre 2001) et en Irak (mars 2003) par le président de l’époque, Georges W. Bush, ont conduit à une augmentation des dépenses militaires américaines de 100 milliards de dollars par an - soit un total de 1 000 milliards de dollars à ce jour -, auxquels il convient d'ajouter près de 1 000 milliards de dollars d'intérêts, les opérations américaines en Asie et au Moyen-Orient ayant été largement financées par un recours à l'emprunt.

Une somme à laquelle s'ajoute une autre série de frais, poursuit Stiglitz, comme la hausse du montant des enveloppes allouées à la sécurité intérieure (le budget du Pentagone a augmenté de 650 milliards de dollars en 10 ans), l'envolée des dépenses de santé pour les militaires blessés au combat, ou encore la multiplication du versement d'indemnités de chômage à des vétérans qui ne sont pas parvenus à retrouver un emploi à leur retour aux États-Unis. Au final, l'économiste évalue à quelque 4 000 milliards de dollars l’impact du 11 septembre 2001 sur l’économie américaine... Une addition salée qui correspond également aux conclusions publiées en juillet dernier par "Costs of War" (les coûts de la guerre), un projet de recherche conduit par l’université de Brown, dans l’État de Rhode Island.

Joseph Stiglitz va jusqu'à affirmer que les baisses d’impôts concédées en 2003 n'ont, en fait, été qu'une réponse aux attaques d’Al-Qaïda contre le Pentagone et le World Trade Center. "Elles ont servi à mettre du baume au cœur des Américains pour détourner

leur attention de l’enlisement militaire en Irak", décrypte Christine Rifflart, spécialiste de l’économie américaine à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), jointe par FRANCE 24. Autant de décisions qui ont fini par pousser les États-Unis au bord du gouffre financier et dont l’administration Obama paierait aujourd'hui le prix fort...

Doit-on prendre en compte les guerres ?

"Le raisonnement est séduisant, mais certains points présentés comme des certitudes par Joseph Stiglitz sont plutôt des hypothèses", tempère toutefois Christine Rifflart. Ainsi, l'idée que le coût des guerres en Irak et en Afghanistan est à verser au bilan économique des attentats du 11-Septembre ne fait pas l'unanimité. "L’engagement en Irak, surtout, est beaucoup plus difficile à relier à la guerre contre Al-Qaïda que celui en Afghanistan", souligne ainsi Agnès Bénassy-Quéré, directrice du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), contactée par FRANCE 24.

Or, si les deux conflits sont retirés de l'équation, les conséquences de l'attaque d'Al-Qaïda contre les États-Unis s'avèrent nettement moins graves. Les attentats du 11-Septembre n’auraient alors coûté que de 60 milliards à 109 milliards de dollars à l'Amérique, soit 1 % à peine de son PIB...

Un grand écart avec les conclusions de Joseph Stiglitz et du collectif "Costs of War" qu’assume l’un des principaux tenants de cette estimation basse, Stephen Brock Blomberg, spécialiste de l’impact économique du terrorisme au Claremont McKenna College (Californie). "Je ne comprends pas la tentation de prendre en compte les guerres en Irak et en Afghanistan. Aucun modèle économique ne permet de les relier aux attentats du 11-Septembre de manière certaine", explique celui-ci à FRANCE 24.

Les secteurs économiques affectés

Les travaux de Stephen Brock Blomberg - qui, en 2010, ont inspiré un rapport au Centre américain d’analyse économique et d’évaluation du risque lié au terrorisme – concluent que l’onde de choc économique des attentats de New York et de Washington n'a pas duré plus de deux ans. Soit "tout de même un an de plus que pour la plupart des évènements de ce type, tels les attentats du métro de Londres [en juillet 2005, NDLR] ou le séisme de Northridge, en Californie, en 1994 [l’une des catastrophes naturelles les plus coûteuses de l’histoire des États-Unis, NDLR]", reprend celui-ci.

Son analyse se concentre, elle, sur les effets directs des attaques contre le World Trade Center et le Pentagone. Il en arrive à la conclusion que la destruction des tours jumelles de Manhattan, les opérations de nettoyage du site et le programme de reconstruction de Ground Zero coûteront, au total, 3 à 4 milliards de dollars auxquels s'ajoute la crise traversée par les trois principales branches dont l'activité a été directement affectée par les attaques, à savoir  le secteur aéronautique, la finance et le tourisme.

La baisse du trafic aérien liée, notamment, à la peur qu'inspire l’avion a ainsi engendré un manque à gagner d’environ 35 milliards de dollars. La relocalisation et la perte d'activité temporaire des 1 134 entreprises - essentiellement financières - situées dans les zones détruites par les attentats ont, elles, coûté un peu moins de 20 milliards de dollars. Quant au secteur touristique, il a perdu 17 milliards de dollars entre septembre 2001 et la fin de 2002, estime Stephen Brock Blomberg.

Son analyse prend également en compte des facteurs plus psychologiques. "On a également pu observer que le choc et la peur éprouvés par les Américains a engendré une baisse de la consommation", relève encore ce dernier, qui évalue le manque à gagner à plusieurs centaines de millions de dollars.

Le 28 décembre 2001, Oussama Ben Laden, le chef d’Al-Qaïda, qui affirmait dans une vidéo que les attentats sur le sol américain coûteraient aux États-Unis 1 000 milliards de dollars, avait donc tort. Mais que ce soit quatre fois plus ou dix fois moins, le débat sur le coût réel de l'attaque n’est toujours pas tranché...