, envoyé spécial à Deauville – Monté à partir d'images exhumées des archives de la télévision suédoise, le documentaire "The Black Power Mixtape 1967-1975", produit par Danny Glover, dresse un portrait humain et sincère du mouvement afro-américain des droits civiques.
On le connaît surtout pour son rôle de flic grincheux qui, bien que "trop vieux pour ces conneries", s'évertuait à poursuivre les méchants aux côtés du sémillant Mel Gibson dans la célèbre tétralogie "L'Arme fatale". Mais Danny Glover, que le festival du cinéma américain de Deauville honorera mercredi soir, est aussi un producteur avisé de films dont la portée historique, politique et sociale trouvent un écho chez les "indignés" de tout poil.
Après avoir produit un réquisitoire anti-mondialisation ("Bamako" d'Abderrahmane Sissako) et une diatribe anti-Bush ("Trouble The Water" de Carl Deal et Tia Lessin), l'acteur de "La Couleur pourpre" a décidé de rendre hommage aux grandes figures du militantisme afro-américain à travers le film "The Black Power Mixtape 1967-1975" du réalisateur suédois Göran Hugo Olsson.
Projeté en avant-première française mardi à Deauville, le documentaire exploite en grande partie des rushes exhumés d'un placard de la télévision suédoise, qui consacra, durant les années 1960 et 1970, une série de reportages sur cette période charnière du mouvement noir américain des droits civiques.
"Réservé aux Noirs"
Le film débute en 1967, année où Stokely Carmichael jette les bases du "Black Power" dans un livre éponyme. Guidé par le principe de la non-violence, le mouvement entend lutter contre les discriminations raciales que le Civil Rights Act et le Voting Rights Act, signés quelques années auparavant par le président Lindon Johnson, ne sont pas parvenus à éradiquer.
Ghettoïsée à la périphérie des centres urbains, la population noire américaine demeure la communauté la plus pauvre et la plus opprimée du pays. Sur les bandes tournées par les journalistes suédois dans les quartiers défavorisés de plusieurs grandes villes, les façades d'immeuble sont délabrées, les routes défoncées et les bornes à incendie accaparées par les gamins des rues. Debout à l'avant d'un car trimballant des touristes européens dans Harlem (New York), un guide croit bon d'indiquer que le quartier est "exclusivement réservé aux Noirs". Une autre époque.
Pour pallier à l'incurie des institutions, le tout jeune Black Panther Party va alors s'employer, dans un premier temps en Californie puis sur l'ensemble du territoire américain, à offrir une éducation et des soins gratuits aux laissés-pour-compte. Les images d'archives, enrichies par les commentaires d'artistes et d'intellectuels de la communauté afro-américaine, montrent alors les centres qui se substituent pratiquement aux services publics : infirmeries, salles de classe, réfectoires accueillant des enfants privés de repas réguliers.
Radicalisation
L'année 1968 changera toutefois la donne. Le 4 avril, le défenseur historique des droits civiques Martin Luther King est assassiné par un ségrationniste blanc à Memphis, dans le Tennessee. Le "Black Power" durcit son discours et muscle son action. Alors que sur le podium des Jeux olympiques de Mexico, les athlètes Tommie Jones et John Carlos brandissent un poing ganté de noir, dans les prisons et les quartiers pauvres la révolte gronde. Et le nationalisme noir incarné par Malcolm X fait des émules.
"The Black Power Mixtape 1967-1975" est ainsi l'occasion de mieux saisir le tournant de la radicalisation opéré par un mouvement qui a longtemps refusé de rendre les coups. Interrogée naïvement par un journaliste suédois sur le recours à la violence dans la lutte pour les droits des Afro-Américains, la militante communiste Angela Davis, alors en prison, exprime toute son exaspération : "Lorsqu’on me demande comment je perçois l’utilisation de la violence, je me dis que cette personne doit ignorer totalement ce que les Noirs ont enduré dans ce pays, depuis que le premier Noir a été kidnappé des côtes d’Afrique pour être emmené ici."
Malgré une volonté d'en découdre, le "Black Power" montre au début des années 1970 des signes de faiblesse. Miné par les divisions internes et le harcèlement des autorités, le mouvement s'essouffle lentement. L'arrivée de la drogue (héroïne, crack), que les protagonistes de l'époque affirment avoir été savamment orchestrée par le FBI, fait des ravages parmi les couches les plus miséreuses de la communauté noire. La lutte engagée par les militants de la première heure manque cruellement de nouveaux leaders charismatiques.
Après s'être attaché à mettre des visages sur un combat parfois mal compris, le documentaire s'achève brutalement en 1975. Sans délivrer toutes les clés qui auraient permis de mieux comprendre comment cet épisode important de l'histoire des Etats-Unis a contribué à porter, trois décennies plus tard, un jeune sénateur noir au pouvoir lors d'une élection qui n'a pas pour autant sonné la fin du combat. "Le travail n'est pas fini", alerte l'écrivain Sonia Sanchez en guise d'épilogue du film. Mais qui pour reprendre le flambeau ?
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