
Une semaine après les émeutes, la justice britannique fait preuve de fermeté à l’égard des émeutiers. La coalition au pouvoir peut-elle être ébranlée par la "tolérance zéro" ? Éléments de réponse avec Jean-Claude Sergeant, professeur à Paris III.
Le calme revenu après quatre nuits d’émeutes, le Premier ministre David Cameron s’est engagé lundi à réparer une "société brisée" et à mener "une guerre totale" contre les gangs. Un peu plus tôt, il avait indiqué : "Tous les inculpés doivent s’attendre à aller en prison." Un appel qui semble avoir été entendu par les tribunaux, qui ont prononcé depuis de sévères peines à l'encontre des émeutiers, suscitant l’indignation d’associations. Si les propos du Premier ministre séduisent l’aile conservatrice, qu’en est-il du côté des libéraux-démocrates, qui font partie de la coalition au pouvoir ? Éléments de réponse avec Jean-Claude Sergeant, professeur émérite à l'Université Paris III Sorbonne-Nouvelle, spécialiste de la vie politique et des médias britanniques.
FRANCE 24 : Comment la classe politique britannique accueille-t-elle les lourdes sanctions prononcées à l’encontre des émeutiers ?
Jean-Claude Sergeant : Les Britanniques ont unanimement condamné les actes de violence et de vandalisme. La classe politique a suivi. Mais les lourdes condamnations – quatre ans ferme pour "incitation aux troubles via les réseaux sociaux", six mois ferme pour le vol d’un pack de bouteilles d’eau – n’ont pas suscité les mêmes réactions. Les conservateurs n’ont pas cillé, mais il y a un véritable malaise chez les libéraux-démocrates.
Les magistrats ont été incités à ne pas respecter la jurisprudence des condamnations qui avaient suivi les émeutes raciales de Bradford en 2001. A l’époque, la justice s’était montrée clémente. Ici, les directives sont claires : ne pas seulement juger les faits, mais aussi les émeutiers et leurs soutiens comme les éléments d’une véritable insurrection sociale.
À la Chambre des Lords, le juriste libéral-démocrate Lord Carlile a tiré la sonnette d’alarme en raison de l’interférence du gouvernement dans le processus judiciaire, expliquant que "juste remplir les prisons" n’empêcherait pas des problèmes futurs. C’est un réflexe, primaire en quelque sorte, qu’a eu David Cameron en appelant les juges à la fermeté. Mais c’est une réaction à un sujet auquel il n’a pas de solution.
F24 : Quelles sont, à moyen terme, les conséquences politiques des émeutes et de ces condamnations ?
J.-C. S. : La classe politique britannique veut réfléchir à ce qui s’est passé. Cela va nécessiter un gros travail. Le gouvernement a accepté la mise en place d’un comité d’experts réclamé par les Travaillistes et soutenu par le Vice-Premier ministre libéral, Nick Clegg. Ce comité est chargé de recueillir les témoignages des victimes et des communautés frappées par les émeutes. Et devra rendre un rapport dans six à neuf mois.
Pour les Britanniques, les émeutes ont été un véritable cataclysme ! Elles ont montré que l’on se faisait une idée fictive de la société britannique. On pensait que le danger de dislocation et de fractionnement de la société viendrait des communautés, mais on s’est aperçu qu’il y avait beaucoup de visages totalement blancs parmi eux - dont des étudiants. C’est un véritable traumatisme.
F24 : Peut-on imaginer que la coalition au pouvoir se fissure ?
J.-C. S. : Non. Les libéraux-démocrates n’ont aucun intérêt à ce que cela se passe ainsi. Et de toute façon, ils ne sont plus à un renoncement près depuis leur alliance avec le Parti conservateur. Il n’y aura pas de fissure ni d’explosion - il en faudrait plus.
Le vrai débat va s’engager à partir de septembre. Il va sans doute se traduire par une conduite plus fine des politiques sociales au Royaume-Uni. Le choix du patron de Scotland Yard risque sans doute d’être aussi l’objet d’âpres négociations. Autre sujet de préoccupation majeur : la surveillance plus précise des réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, qui amènera sans doute à des aménagements dans la loi et des limitations, voire des fermetures, de services. Un peu comme on peut déjà le voir dans plusieurs pays ailleurs dans le monde.
(Crédit photo : Mehdi Chebil / FRANCE 24)