Dans une étude parue au début du mois d'août, deux économistes font le lien, preuves historiques à l'appui, entre politiques de rigueur économique et désordres sociaux en Europe. Explications.
"Je pensais que seul un petit groupe de spécialistes allait s’intéresser à notre travail", s’amuse Hans-Joachim Voth, historien de l’économie. Mais depuis le début du mois d'août et la mise en ligne des conclusions de son étude baptisée "Austérité et anarchie : coupes budgétaires et troubles sociaux en Europe entre 1919 et 2009", le chercheur enchaîne les interviews. Ces travaux, il les a menés pendant plus d’un an avec son collègue de l’université Pompeu Fabra de Barcelone, Jacopo Ponticelli.
Selon ces deux spécialistes, l’austérité économique entraîne le désordre social et ils en apportent la preuve. Leurs conclusions prennent une dimension particulière à l’aune des manifestations qui se sont déroulées cette année en Grèce et en Espagne, où de drastiques plans d’économies budgétaires ont été adoptés. Mais elles font surtout écho aux émeutes qui ont secoué l'Angleterre la semaine dernière, apportant de l'eau au moulin des travaillistes qui n'ont pas hésité à faire un lien entre les violences et les mesures d’austérité décidées par le gouvernement de David Cameron.
L’étude passe en revue 3 700 incidents - aussi bien des manifestations, des émeutes que des assassinats politiques - qui ont eu lieu depuis 90 ans dans 28 pays européens. "Cet inventaire nous a permis d’établir que le lien entre les coupes budgétaires et les risques de troubles sociaux était bien plus important que ce qu’on pouvait imaginer", affirme Hans-Joachim Voth. De fait, un train de mesures d’austérité correspondant à 1 % du produit intérieur brut (PIB) entraîne une augmentation de 1,5 % des risques de voir éclater un incident.
Les Britanniques contestataires
À l’origine, Hans-Joachim Voth et Jacopo Ponticelli travaillaient sur une théorie économique en vogue selon laquelle les coupes budgétaires favorisent la croissance sans pour autant ruiner les chances de réélection des dirigeants qui les décident. "Nous nous demandions pourquoi les gouvernements hésitaient alors autant à franchir le pas…", note Hans-Joachim Voth. L’histoire de l'économie européenne leur a donné une explication : les troubles causés par l'austérité en annulent les potentiels effets bénéfiques. "Aucune entreprise ne va, par exemple, vouloir s’implanter dans les zones où se sont déroulées les émeutes en Angleterre", remarque ainsi Hans-Joachim Voth.
L’étude tord au passage le cou à l’image traditionnelle d’un peuple britannique flegmatique. Elle montre en effet que les sujets de Sa Majesté sont davantage prompts à protester contre la rigueur que les autres Européens. Pour autant, Hans-Joachim Voth se refuse à mettre les émeutes en Angleterre sur le compte de cette inclinaison à la révolte. "Les mesures d’austérité ont joué un rôle mais je ne peux pas affirmer qu’elles en sont la cause principale", estime-t-il.
Mieux vaut augmenter les taxes...
D’autres lieux communs trouvent en revanche confirmation dans cette étude. Ainsi, "il ne se passe vraiment jamais rien en Suisse", relève avec amusement l’économiste. Et d’une manière générale, l’Europe est plus contestataire face aux coupes budgétaires que d’autres régions du monde comme l’Amérique du Nord où les émeutes ont, selon les auteurs, "davantage d'origines raciales qu’économiques".
Est-ce à dire que ces économistes déconseillent aux pays européens de continuer sur la voie de la rigueur ? Pas forcément. "D’abord, le rapport entre coupes budgétaires et incidents n’est pas mécanique, il s’agit surtout d’un risque", souligne Hans-Joachim Voth, citant comme exemple la période d’austérité en France entre 1982 et 1983 qui n’avait pas entraîné de troubles. D’autre part, l’étude démontre que les augmentations des taxes, comme la TVA, ont un effet beaucoup moins explosif sur la situation sociale que les coupes budgétaires. Avis au gouvernement français, qui a prévu de dévoiler de nouvelles mesures d’austérité le 24 août.