
Les appels à la solidarité internationale se multiplient pour aider la Corne de l'Afrique, victime d'une grave crise alimentaire. Mais les problèmes politiques de la région - en partie responsables de la catastrophe - restent ignorés.
Ces scènes sont obsédantes, et pourtant familières : des mères désespérées qui arrivent dans les camps de réfugiés, leurs bébés affamés dans les bras ; des organisations humanitaires qui appellent à davantage d'aide internationale ; des pays donateurs qui égrènent de nouvelles promesses ; l'habituel panel de célébrités qui chante son traditionnel refrain et, bien sûr, les médias qui montrent au public des images déjà vues maintes fois. Chaque fois, le même processus se met en branle, inlassablement.
L'épicentre de la dernière crise alimentaire en date est la Somalie, dans la Corne de l'Afrique. Les Nations unies ont décrété l'état de famine dans deux provinces du sud de ce pays pauvre et déchiré par la guerre civile depuis 1991.
Lundi, l'agence onusienne pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a tenu une réunion d'urgence à Rome, en Italie. L'ONU espère recueillir la somme de 1,6 milliard de dollars, qu'elle juge indispensable pour venir en aide à près de 11 millions de personnes à travers la Somalie, l'Éthiopie, le Kenya et Djibouti. "Si nous ne prenons pas les mesures nécessaires, la famine sera le scandale de ce siècle", avait averti lundi le ministre français de l'Agriculture, Bruno Lemaire.
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Selon de nombreux analystes, le plus gros scandale réside dans le fait que la communauté internationale cherche une fois encore à apporter une solution à court terme, par le biais de millions de dollars d'aide humanitaire, sans essayer de résoudre l'insécurité et l'instabilité politique chroniques de la Somalie.
Un pays chaotique
S'il est évident que l'absence de pluies est responsable de la grave sécheresse qui touche le nord-est du continent africain, la crise alimentaire dont il est victime actuellement est aussi le résultat d'une combinaison de facteurs, affirme ainsi Rashid Abdi, spécialiste de la Somalie au sein de l'ONG International Crisis Group. "Cette sécheresse était attendue, explique-t-il. Mais au lieu de s'y préparer, les acteurs politiques somaliens ont passé leur temps à s'affronter."
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Les deux provinces frappées par la famine sont contrôlées par les Shebab, un groupe islamiste lié au réseau Al-Qaïda. Elles sont situées entre les rivières Juba et Shebell, une région agricole traditionnellement considérée comme le grenier à blé de la Somalie. Les sécheresses y sont fréquentes et les paysans avaient l'habitude de s'y préparer, en faisant par exemple des réserves de blé. Mais, selon Rashid Abdi, les Shebab ont encouragé les fermiers à y développer d'autres cultures destinées au commerce, telles que la culture des graines de sésame. "Les paysans qui avaient l'habitude de cultiver la terre pour se nourrir et qui faisaient des stocks dans leurs greniers en prévision des temps difficiles n'ont, du coup, plus de réserves", explique-t-il.
De son côté, le gouvernement, pris dans le conflit avec les islamistes, a abandonné l'entretien de certains dispositifs d'irrigation traditionnels.
Soutenu par les Nations unies, le gouvernement somalien ne contrôle que la moitié de la capitale, Mogadiscio, où il survit sous la protection de soldats de la mission de maintien de la paix de l'Union africaine. La semaine dernière, le président Sheikh Sharif Ahmed a annoncé la formation d'une nouvelle équipe - la troisième en moins d'un an. Mais "cette autorité est une invention de la communauté internationale, dénonce Rashid Abdi. Tout ce qu'elle a fait a été désastreux."
Dans une interview à l'agence Associated Press, Abdirazk Fartaag, qui dirigeait l'unité de gestion des finances au sein du gouvernement, a lui déclaré que les Somaliens continueraient de souffrir tant que la communauté internationale ne ferait pas davantage pression sur le pouvoir. Abdirazk Fartaag a fui le pays après avoir détaillé, dans un rapport, le détournement de dizaines de millions de dollars en provenance des pays arabes.
Rashid Abdi confirme que la corruption est un véritable fléau. Selon lui, ces pratiques ne changeront pas tant que les politiciens, qui bénéficient d'une totale impunité, continueront à penser que la communauté internationale ne leur retirera pas son soutien de peur que les Shebab ne prennent le contrôle de tout le pays.
S'il souligne la nécessité de l'aide pour faire face à la crise actuelle, l'expert estime "important que les humanitaires construisent des mécanismes pour que la région puisse faire face à ses difficultés, plutôt que de perpétuer la dépendance."
Dans une interview à la BBC, le directeur de l'organisation internationale Goal, John O'Shea, a lui déclaré que la réponse des Nations unies à la crise politique en Somalie avait aggravé la situation, estimant que le Conseil de sécurité aurait dû autoriser le déploiement d'un nombre conséquent de casques bleus pour mettre fin à des années de conflit. "Nous n'aurions alors pas 4 millions de Somaliens qui meurent de faim", a-t-il déclaré.
Seuls 9 200 soldats de l'Union africaine, sur les 20 000 promis, sont actuellement déployés à Mogadiscio.
Célébrités à la rescousse
La corruption, les conflits et la mauvaise gouvernance sont à l'origine de la majorité des récentes crises qui ont touché la région : la communauté internationale en est consciente, mais continue à sous-estimer cette réalité.
Au milieu des années 1980, lorsque le chanteur irlandais Bob Geldof exhortait le monde à aider les victimes de la famine en Éthiopie, le dictateur communiste du pays Mengistu Haïle Mariam se battait contre les rebelles érythréens et le Front populaire de libération du Tigré, grâce à des armes soviétiques dont le coût était estimé à plusieurs millions de dollars. Plus de deux décennies plus tard, une autre star irlandaise, le leader du groupe de rock U2 Bono, a appelé les leaders de la planète à se mobiliser pour la Corne de l'Afrique. Dans un communiqué publié à la veille de la réunion de la FAO lundi, Bono et plusieurs autres célébrités déclaraient : "Il est incompréhensible que l'on puisse mourir de la faim en 2011".
Chaque crise fait renaître l'espoir que de nouvelles solutions seront apportées aux problèmes de longue date que connaît la région. "Peut-être devrions nous considérer cette crise comme une nouvelle opportunité pour porter davantage d'attention à la Somalie", a ainsi déclaré la semaine dernière Kristalina Georgieva, la commissaire européenne en charge de la Coopération internationale. Rashid Abdi, lui, ne parvient pas à faire preuve de ce modeste degré d'optimisme : "Il y a eu tant de crises en Somalie, et tant d'opportunités ratées. Je souhaite et j'espère un changement de la situation, mais je ne vois pas comment ce pourrait être le cas."