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"Je me suis mis à courir alors que mon sang coulait à flots"

, envoyé spécial à la frontière turco-syrienne – Blessés par balles pour avoir manifesté contre le régime syrien, Ibrahim, Jamal et Tamer sont actuellement soignés à l’hôpital d’Antioche, en Turquie. Ils font partie des quelque 10 000 réfugiés qui ont fui leur pays. Témoignages.

L’envoyé spécial de FRANCE 24 à la frontière turco-syrienne a rencontré trois jeunes Syriens blessés par balle à Lattaquié, une cité portuaire du nord-ouest de la Syrie, Jabal Zaouia (nord-ouest) et Jisr al-Choughour (nord-ouest) dans des manifestations hostiles au régime de Bachar al-Assad. Ibrahim, Jamal et Tamer, qui ne souhaitent pas donner leur nom de famille pour des raisons de sécurité, sont soignés à l’hôpital d’Antioche, en Turquie. Ils font partie des quelque 10 000 réfugiés syriens qui ont fui leur pays. Témoignages.

"J’ai été blessé au pied gauche par des tirs de l’armée syrienne"
 Ibrahim, un commerçant âgé de 30 ans, a été blessé au pied par les forces de sécurité à Lattaquié, qu’il a fui dans le courant du mois d’avril. "Le régime m’avait demandé d’intervenir auprès des jeunes manifestants et de les convaincre de ne plus sortir dans la rue", explique-t-il. En échange, il affirme avoir reçu la promesse de toucher une certaine somme d’argent afin de soigner son fils qui est atteint de paralysie. "Mais j’ai refusé cette proposition parce que je suis convaincu que les revendications du peuple sont légitimes", poursuit-il. Malgré la peur et les menaces, il a participé à plusieurs manifestations pacifiques dans sa ville, appelant à la chute du régime.
Ibrahim a échappé une première fois à la mort, lors d’une opération au cours de laquelle l’armée syrienne a ouvert le feu sur les manifestants pour faire évacuer une place de Lattaquié. Activement recherché par les forces de sécurité qui ont investi son domicile, il s’est enfui dans la montagne voisine avant de se rendre dans la ville de Jisr al-Choughour. "Là aussi, j’ai participé à des manifestations contre le régime. Et cette fois, j’ai été blessé au pied gauche par des tirs de l’armée", se souvient-il. Secouru par des opposants, il a été rapidement évacué vers la frontière turque, où il a été pris en charge par le Croissant rouge.
En contact avec sa famille restée en Syrie, il affirme que la situation a empiré à Lattaquié. "Mon frère m’a informé que la ville est toujours assiégée et que des navires de guerre bombardent des habitations tandis que, sur le terrain, des Shabiha (milices partisanes du pouvoir), s’attaquent à la population", conclut-il. "Les forces de l’ordre ont ouvert le feu sur quiconque essaie de secourir les blessés".
Âgé de 17 ans, Jamal est originaire de la ville de Jabal Zaouia. Il a lui aussi participé à plusieurs manifestations contre le régime de Bachar al-Assad. "Le jour du ‘Vendredi de la liberté’, j’ai rejoint le rang des manifestants, après la prière dans une ville de la province d'Idleb (nord-ouest). Les toits des immeubles étaient envahis par des snipers tandis que les Shabiha étaient omniprésents dans les rues. Ils étaient accompagnés d’hommes tout de noir vêtus, dont certains disent qu’ils seraient iraniens. Les tirs venaient de toutes parts, il était impossible de fuir", raconte Jamal, les larmes aux yeux.
"J’ai été touché par une balle explosive dans le tibia. Alors que j’étais à terre, j’ai vu les Shabiha avancer dans ma direction pour m’arrêter. Je me suis alors mis à courir tant bien que mal, bien que mon sang coulait à flots. Je n’ai pu m’échapper que grâce aux autres manifestants qui ont fait barrage aux forces de sécurité", témoigne-t-il.
Après s’être réfugié dans la montagne, Jamal a été évacué en Turquie par son père afin de soigner sa blessure qui risquait d’empirer. Il est sur le point de subir une sixième opération.
"Je suis né en Syrie et j’y mourrai"
Tamer, âgé de 31 ans et père de 3 enfants, est commerçant dans la ville de Jisr al-Choughour , secouée par des violences au début du mois de juin. Son histoire n’est pas vraiment différente de celle de ses compagnons d’infortune. Lui aussi a décidé de manifester contre le régime et contre les exactions des forces de l’ordre syriennes. "Au départ, les manifestations n’étaient pas très importantes. Mais, au fur et à mesure que la violence de la répression est allée crescendo, le nombre de manifestants a augmenté et nous avons commencé à descendre presque tous les jours dans la rue", raconte-t-il.
Ce dernier se souvient avec douleur d’une manifestation organisée avec ses amis en face du siège local du parti Baas - au pouvoir en Syrie - et de la violente répression qui a suivi. "Pour nous disperser, les forces de sécurité ont utilisé des bombes à gaz fabriquées en Iran, si j’en crois les inscriptions qui figuraient dessus. Plusieurs d’entre nous ont été arrêtés", dit-il. Une semaine plus tard, le régime a envoyé des forces de sécurité et des Shabiha pour dissuader ceux qui comptaient manifester à nouveau. "Mon voisin m’a menacé de faire fermer le magasin dans lequel je travaille et de faire tuer ma fille si jamais j’allais manifester une nouvelle fois", explique Tamer.
Ces menaces n’ont pourtant pas eu raison de sa volonté de continuer à protester. "J’ai été blessé quelques temps plus tard au cours d’une manifestation. J’ai été touché par deux balles, l’une est entrée dans ma main, l’autre s’est logée au niveau de mon épaule. J’ai été évacué en Turquie grâce à des amis." Tamer compte rentrer au plus vite en Syrie pour retrouver sa famille qui s’est mise à l’abri, loin de Jisr al-Choughour. "Je vais la revoir, ainsi que mon pays. Je suis né en Syrie, et j’y mourrai", conclut-il. Un sentiment qu’il partage avec Ibrahim et Jamal.