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Affaire Galliano : un mélange d'alcool, de médicaments et de solitude

Jugé à Paris pour injures raciales, l'ex-couturier de la maison Dior a avoué souffrir d'une "triple dépendance" qui l'empêche de se souvenir des actes qui lui sont reprochés. Chronique d'un procès que l'on annonçait retentissant.

Ce devait être le procès choc, le dévoilement de la face obscure de John Galliano, le récit de la descente aux enfers du couturier britannique dans la dépendance à l'alcool et aux médicaments. Que nenni. Le procès s'est dégonflé lentement de sa substance, laissant les juges et l'auditoire pour le moins interloqués.

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"J'attends des explications sur son comportement", une plaignante de John Galliano
Affaire Galliano : un mélange d'alcool, de médicaments et de solitude

D'abord parce que le prévenu, qui comparaît pour injures raciales et antisémites après deux altercations, en octobre 2010 et en février 2011, au café parisien La Perle, situé dans le quartier du Marais, assure ne se rappeler de rien. "Je ne me souviens pas très bien de ce qui s'est passé" le 24 février, déclare un John Galliano sobrement habillé de noir. L’ancien styliste star de la maison Dior est accusé d'avoir lancé, ce soir-là, à la plaignante Géraldine Bloch un peu amène "sale gueule de juive" ("dirty Jewish face"). L’ami de la plaignante, Philippe Virgiti, dit avoir été gratifié d'un "putain de bâtard asiatique" ("fucking Asian bastard").

Plus tard durant l'audience, l'accusé répète dans la langue de Shakespeare : "je n'ai aucun souvenir de mes propos". "Vous vous dites que vous avez peut-être pu proférer ces insultes, ou peut-être pas ?", insiste le juge. "Je n'ai aucun souvenir de mes propos", répète le couturier. Aucune mémoire sauf quand il s’agit d’évoquer l'agressivité du compagnon de la plaignante qui, en ce soir du 24 février, avait menacé la célébrité britannique avec une chaise...

"L’homme que vous voyez a besoin d’aide"

En visionnant, quelques instants plus tard, une vidéo datant de décembre 2010 et diffusée par le tabloïd anglais The Sun (voir la vidéo au bas de la page), dans laquelle John Galliano, visiblement ivre, insulte les femmes assises à la table voisine et profère son amour pour Hitler, l'ancienne égérie de la maison Dior explique : "L'homme que vous voyez a besoin d'aide. C'est l'ombre de John Galliano. Cet homme a été poussé à bout."

Son comportement, explique-t-il, est dû à une forte dépendance à l'alcool et aux médicaments. "Depuis 2007, la pression au travail est devenue immense. Des journées remplies à m'occuper des différentes collections des maisons Dior et Galliano, à signer des contrats, à répondre aux journalistes... Et la mort de mon compagnon de route, Steven Robinson, m'a beaucoup affecté. Je travaillais tellement que j'ai dû retourner au bureau quelques heures seulement après avoir assisté à ses funérailles. Je n'ai même pas pris le temps du deuil. J'ai commencé à mélanger alcool, Valium et somnifères, et à avoir des accès de panique et d'anxiété. J'ai souvent pris ce cocktail dès le matin, avant d'aller au travail." Cette addiction, John Galliano dit s'y être attaqué durant deux mois de cure dans l'Arizona, aux États-Unis, puis en Suisse. "Je suis toujours en soins de jour. Mais je vais beaucoup mieux."

Le couturier de luxe a ensuite présenté ses excuses aux plaignants... tout en niant être l'homme décrit par l'accusation : ni raciste ou antisémite. L’homme se décrit au contraire comme quelqu'un "qui a lutté toute sa vie contre la discrimination et l'intolérance", dont il a lui-même souffert en tant qu'homosexuel. "Mon œuvre le montre : j'ai passé ma carrière à voyager pour embrasser les cultures, les religions et la diversité."

Flot d’insultes et pétard mouillé

Vient au tour des plaignants de s'expliquer. Là, les juges peinent à se repérer dans le flot d'insultes. A-t-il réellement dit "dirty Jewish face" ou plutôt "fucking bastard Jewish bitch" ? Combien de fois a-t-il prononcé "Jewish" ? A-t-il traité les plaignantes de "bitch" (salope), de "cow" (vache) ou de "cunt" (connasse) ?

L'affaire est grave mais l'accumulation finit par faire sourire, de même que l'embarras des plaignants à se rappeler des propos exacts. La force de persuasion du couple prend du plomb dans l'aile quand est révélé la valse-hésitation de Philippe Virgiti qui avait menacé John Galliano. Il explique comment il a ressenti la pression médiatique et comment il a été amené à éprouver de la pitié pour cet homme qui venait de se faire licencier de chez Dior. Il s'est forgé la conviction que John Galliano n'est pas antisémite, et qu'il s'agissait d'une banale dispute sur une terrasse de café. L'absence pour raison professionnelle de la troisième plaignante, qui accuse John Galliano des mêmes faits - insultes à caractère antisémite, remontant au 8 octobre 2010 -, confère un peu plus au procès son côté "pétard mouillé".

"Racisme de comptoir"

Trois témoins cités à la barre par la défense vont brouiller davantage encore les pistes. Ils disent avoir assisté aux scènes incriminées mais n'avoir entendu aucun propos antisémite ou raciste, tout juste quelques remarques désobligeantes. Ce 24 février, l'agressivité, soutient même l'une des témoins, provenait plutôt du couple de plaignants... Me Yves Beddouk, l'avocat de ces derniers, crie à la fausse déclaration. Ces trois témoins travaillent, comme par hasard, dans le milieu de la mode, fait-il valoir. L'accusation de faux témoignage est grave, fait remarquer le juge. L'avocat persiste.

Alors l’affaire Galliano, banale histoire de "racisme de comptoir, de parking, de supermarché", comme la décrit la procureure ? Celle-ci a requis deux amendes de 5 000 euros à l'encontre du couturier, dans chacune des affaires jugées. Le jugement a été mis en délibéré au 8 septembre.

Vidéo publiée sur le site du tabloïd britannique The Sun.

Tags: Mode, Justice, France,