Autorisés à pénétrer dans les camps turcs, des experts du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) se sont rendus à la frontière turco-syrienne pour évaluer la situation. Pendant ce temps, des milliers de réfugiés fuient toujours la répression de Damas.
AFP - Des experts de l'ONU se trouvaient mardi à la frontière syro-turque pour recueillir auprès de milliers de réfugiés syriens des témoignages sur la répression du régime de Bachar el-Assad qui a touché de nouvelles régions du Nord malgré les condamnations internationales.
Trois mois après le début le 15 mars d'un mouvement de révolte pro-démocratie inédit, le pouvoir, déterminé à mater toute contestation, a envoyé ses chars vers la ville d'Abou Kamal, à la frontière avec l'Irak dans le nord-est, après avoir déclenché une vaste offensive dans le nord-ouest du pays.
Face au refus du régime de laisser entrer des équipes humanitaires et des groupes des droits de l'Homme, des experts du Haut commissariat de l'ONU aux droits de l'Homme sont arrivés dans la province turque d'Hatay, où affluent des milliers de réfugiés syriens fuyant la répression.
Leur mission est d'"enquêter sur les exactions" en Syrie, a dit à l'AFP un membre de la mission.
Entre-temps, la France continue de militer auprès des 14 autres membres du Conseil de sécurité de l'ONU afin d'obtenir une majorité de 11 voix pour voter un projet de résolution condamnant cette répression, la Russie et la Chine y étant strictement opposées.
Et la secrétaire d'Etat Hillary Clinton a de nouveau accusé l'Iran de soutenir "les attaques brutales" du régime syrien, la Maison Blanche renouvelant son appel à une transition ou un départ de M. Assad.
Mais le pouvoir reste sourd à ces protestations, alors que le président syrien, arrivé au pouvoir en 2000 après le décès de son père Hafez al-Assad, n'est intervenu qu'une seule fois publiquement depuis le début de la contestation.
L'armée a poursuivi son ratissage dans le gouvernorat d'Idleb, à 330 km au nord de Damas, notamment à Ariha et Maaret al-Nomaan dans les environs de Jisr al-Choughour, ville désertée par ses habitants et sous contrôle militaire, a indiqué à l'AFP un militant des droits de l'Homme.
"Six civils ont péri à Ariha", a-t-il dit sans autre précision.
"Des soldats se dirigent vers Maaret al-Nomaan. Ils viennent des villes d'Alep et de Hama", a affirmé Rami Abdel-Rahmane, chef de l'Observatoire syrien des droits de l'Homme.
Selon les témoins, l'armée empêche la population de quitter le gouvernorat d'Idleb, tirant sur ceux qui risqueraient de déjouer les check-points militaires. Mais le régime, qui refuse d'admettre l'existence de ce large mouvement de contestation, continue d'attribuer les troubles à des "gangs armés".
Selon l'agence officielle Sana, l'armée pourchasse toujours les "groupes armés" autour de Jisr al-Choughour et le gouvernement "appelle les habitants à rentrer dans leur village qu'ils ont été contraints de quitter". "Les groupes armés terrorisent les habitants de Maaret al-Nomaan comme ils l'avaient fait à Jisr al-Choughour", ajoute-t-elle alors que des milliers d'habitants de cette dernière ville ont fui vers la Turquie voisine où ils ont témoigné de la répression brutale du régime contre des civils sans armes.
Le nombre de Syriens ayant trouvé asile en Turquie a dépassé les 8.500, à quoi s'ajoutent 5.000 autres réfugiés au Liban. Une fois franchie la frontière turque, ils sont dirigés vers des camps dressés par le Croissant-Rouge.
Mais des milliers hésitent encore à quitter leur pays et s'entassent le long de la frontière, qu'ils franchiront si l'armée devait arriver.
Parmi eux, 300 membres de la tribu des al-Tayib.
"Il n'y a pas d'eau, rien à manger, les enfants pleurent tout le temps, que dieu le punisse! Il a même empoisonné notre eau", s'époumone en désignant le président syrien une matrone, interrogée par l'AFP à travers la ligne de démarcation.
"Tous les gens ici sont sans toit, sous la pluie et dans le froid, est-ce que ce n'est pas un pêché, ça?" s'emporte-elle, désignant des cabanes de branches bâties à la hâte, des tentes branlantes confectionnées à partir de toiles plastifiées.
Mais ces Syriens préfèrent cette précarité à la barbarie des soldats: "Ils ont tué une personne de notre tribu. Ils ont aussi coupé les doigts d'une autre", affirme la mère de famille.
Plusieurs témoins, dont un colonel déserteur interrogé par l'AFP en Turquie, ont raconté avoir vu "des snipers iraniens" et des membres du groupe chiite libanais Hezbollah tirer sur la foule. Un officier syrien, Hussein Harmoush, a par ailleurs confirmé des dissensions au sein de l'armée, racontant avoir "tendu des pièges" avec d'autres déserteurs afin de retarder l'avancée des pro-régime à Jisr al-Choughour.
Malgré tout, la mobilisation hostile au régime ne fléchit pas et des manifestations nocturnes continuent d'avoir lieu, selon l'opposition.
Dans une nouvelle tentative de médiation, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a téléphoné à M. Assad pour l'appeler à établir d'urgence un calendrier de réformes et mettre fin à la répression qui a coûté la vie à 1.200 personnes et entraîné l'arrestation de quelque 10.000, selon des ONG et l'ONU.