
Le chef de l'État a signé une loi prévoyant l'indemnisation des millions de victimes du conflit armé qui oppose des guérillas d'extrême gauche, des bandes criminelles et l'armée depuis plusieurs dizaines d'années en Colombie.
AFP - Le président colombien Juan Manuel Santos a signé vendredi une loi sans précédent de dédommagement des victimes du conflit armé en Colombie ayant pour but de "construire la paix", lors d'une cérémonie en présence du secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon.
"Notre pays n'est pas condamné, nous ne sommes condamnés ni à +Cent ans de solitude+, ni à cent années de violence", a déclaré le chef de l'Etat colombien après la signature du texte devant un parterre de haut fonctionnaires, d'élus et de diplomates et en présence de Ban Ki-moon, arrivé à la mi-journée en Colombie.
La loi prévoit l'indemnisation des victimes du conflit, soit près de quatre millions de personnes, à partir de 1985, et la restitution de terres aux personnes dépouillées par les groupes armés depuis de 1991, soit quelque 400.000 familles.
Projet phare du gouvernement, la loi entre en vigueur alors que la Colombie est encore en proie à un conflit armé entamé dans les années 1960.
Il implique aujourd'hui deux guérillas d'extrême-gauche, l'armée, et des bandes criminelles en partie composées d'anciens paramilitaires, soit quelque 10.000 combattants d'extrême gauche et entre 6.000 et 10.000 criminels armés.
Vendredi soir le président colombien a assuré qu'elle avait pour but "de construire la paix" en Colombie, pays où des morts liées au conflit interviennent encore presque quotidiennement.
"Ceux qui ne le comprendront pas - et je fais référence en particulier aux groupes armés illégaux (...) auront perdu pour toujours le train de l'histoire", a-t-il ajouté.
La loi trace les grandes lignes d'un mécanisme de dédommagement et de reconnaissance des victimes.
L'ONU a salué son adoption ouvrant "l'espoir de soulager la souffrance de millions de victimes du conflit".
Ban Ki-moon toutefois a souligné "qu'une bonne loi ne suffit pas" en insistant sur la nécessité d'une plus grande protection des droits de l'Homme en Colombie, pays "où des personnes meurent toujours en défendant leurs droits, ce qui n'est pas acceptable".
Récemment, le Haut commissariat de l'ONU pour les droits de l'Homme avait également souligné "les grands défis" qui attendent l'Etat dans le cadre de l'application de la loi, notamment en matière de sécurité.
Le programme de restitution de terres prévu dans ce texte fait en effet l'objet d'une forte opposition de groupes armés composés d'ex-paramilitaires, qui ont dérobé ces terrains à partir de la fin des années 1980 aux paysans déplacés par la violence.
Depuis que le gouvernement a annoncé ce plan, en septembre, au moins dix militants luttant pour la restitution des terres ont été assassinés.
La "violence va encore augmenter. Ces bandes criminelles vont réagir contre la restitution de terres", prévoit aussi le spécialiste du conflit Ariel Avila, de la Corporation Nuevo Arco Iris, un institut d'études indépendant.
L'opposition de gauche (Pôle démocratique alternatif) a pour sa part regretté que la loi n'inclue pas les victimes de la violence des bandes criminelles, responsables en 2010 de 47% des homicides en Colombie.
Ce texte reste cependant le premier prenant réellement en compte les victimes, a déclaré à l'AFP la politologue Claudia Lopez.
L'Etat s'était jusqu'ici seulement occupé des "bourreaux", à travers la loi Justice et Paix, adoptée en 2005 et prévoyant des amnisties partielles pour les paramilitaires d'extrême droite qui avoueraient leurs crimes, souligne-t-elle.
La nouvelle loi met en place le cadre qui permettra d'indemniser les victimes, mais le "diable est dans les détails", a pour sa part souligné Michael Reed, directeur du Centre international pour la justice transitionnelle, qui a suivi de près son élaboration.
"Son succès dépendra notamment de la capacité de l'Etat à coordonner plus de 20 organismes d'aide" aux victimes, a-t-il déclaré.