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Devant les députés, le chef de la diplomatie française a estimé que le livre de Pierre Péan est fait "d'amalgames et d'insinuations". L'auteur l'accuse de conflit d'intérêt entre ses activités publiques et privées en Afrique.

"Grotesque", "nauséabonde"… Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, n’a pas eu de mots assez durs pour qualifier les accusations portées à son encontre dans "Le Monde selon K.", le dernier livre du journaliste Pierre Péan paru, ce mercredi, aux éditions Fayard.

L’auteur, dont les ouvrages soulèvent fréquemment la controverse, se livre ici à une critique acerbe de la politique étrangère menée par le chef de la diplomatie française, qu’il accuse d'avoir confondu activités publiques et privées en Afrique.

Pierre Péan décrit en particulier le travail de conseil que Bernard Kouchner aurait effectué, contre rémunération, pour le compte des autorités gabonaises. D'après "Le Monde selon K.", le "French Doctor", alors déjà installé au Quai d'Orsay, serait intervenu auprès du chef de l'Etat gabonais, Omar Bongo, pour demander le paiement de factures établies par les sociétés de deux de ses proches.

Des affirmations que l’intéressé a fermement démenties, mercredi devant l’Assemblée nationale, lors de la séance de questions au gouvernement.

Dénonçant des "amalgames" et des "allusions insidieuses", le ministre a assuré n’avoir "à aucun moment fait de mélange des genres […] On me parle de conflit d'intérêt. A aucun moment, ni au Gabon ni ailleurs, je ne me suis servi de mes fonctions ministérielles. Je n'en avais pas besoin", a-t-il affirmé d’un ton sobre, presque professoral, avant de confier qu’il "souffr[ait]" de ces allégations "sans aucune preuve".

Entre scandale et diffamation



"L’abbé Pierre se retournerait plusieurs fois dans sa tombe en voyant le comportement de Kouchner en Afrique", se scandalise Charles Onana, journaliste d'investigation, auteur des "Secrets de la justice internationale : enquêtes truquées sur le génocide rwandais" (éd. Duboiris, 2005), un livre préfacé par Pierre Péan.

Invité sur FRANCE 24, Onana prétend que "la face cachée de Kouchner" décrite par Péan est déjà connue de "beaucoup d’Africains et depuis un certain temps".

Selon lui, le ministre des Affaires étrangères profite de son image "d’homme généreux" pour jouer un double jeu. "Kouchner a toujours clamé que les chefs d’Etat africains étaient des dictateurs. Dans la journée, il les dénonçait et, la nuit, il négociait avec eux", affirme le journaliste.

Des propos virulemment démentis sur FRANCE 24 par Michel-Antoine Burnier, journaliste et auteur de la biographie "Les 7 Vies du docteur Kouchner" (éd. XO, 2008).

Pour ce dernier, les sommes dont fait état le livre sont des honoraires perçus pour des missions de consulting auprès des Etats africains. "Ces sommes sont non seulement très inférieures à celles annoncées par Péan, mais elles le sont aussi par rapport à celles que prend n’importe quel expert de l’OMS ou de la Banque mondiale", ajoute le journaliste.

La réputation de sérieux de l’auteur du brûlot n’est pourtant plus à faire. En 30 ans, Pierre Péan a révélé quelques-unes des grandes "affaires" de la République française, dont le passé vichyste de François Mitterrand et l’affaire des "diamants de Giscard".

Quelque soit la véracité des faits, pour Douglas Yates, professeur de sciences politiques à l’université américaine de Paris, la polémique porte un coup dur aux actions du "French Doctor", connu sur la scène internationale pour avoir fondé l’ONG Médecins sans frontières.

“Les accusations de corruption les plus sérieuses ne sont révélées qu’à la fin du livre. Le reste est surtout une sorte d’anti-biographie visant à faire tomber le mythe Kouchner : celui du ‘French Doctor’, de la bonne âme humanitaire", commente l’universitaire.

La classe politique française règle ses comptes ?

Un point de vue que partage Marie-Roger Bilao, rédactrice en chef d’Africa International.

Selon elle, ce scandale, qui n’a pas lieu d’être, est surtout un problème propre à la classe politique française. "Cela ne signifie pas du tout que les détracteurs de Kouchner se soucient de l’Afrique ou qu’ils s’inquiètent des contrats signés sous le manteau avec des gouvernements africains", affirme-t-elle. Ils ont juste "un problème" avec le "French Doctor". L'intéressé lui-même se dit être victime d’animosité politique.

Reste à Kouchner le soutien, pour l’instant sans faille, du gouvernement mais également celui de la première secrétaire du Parti socialiste français, Martine Aubry.