
Mercredi, les deux frères ennemis se disputeront une place en finale de la Coupe du monde de cricket organisée en Inde. L'occasion pour ces deux puissances nucléaires d'opérer un rapprochement sur le terrain diplomatique ?
Quel est l’évènement sportif le plus important de l’année 2011 ? Le Mondial de rugby ? Pas pour tout le monde... En tous cas pas pour le milliard de personnes qui devraient assister à la retransmission de la demi-finale de la Coupe du monde de cricket opposant l’Inde au Pakistan.
Mercredi, les deux frères ennemis se disputeront une place en finale, au Punjab Cricket Association Stadium de Mohali, dans la banlieue de Chandighar, ville indienne située à quelque 200 kilomètres de la frontière avec le Pakistan.
Sur le papier, l’affiche s’annonce brûlante. Le Pakistan, en pleine confiance après une raclée infligée à la Fédération des Antilles occidentales en quarts de finale (113/0-112/10), défie une sélection indienne transcendée par son public, et par une victoire contre l’Australie, trois fois titrée au plus haut niveau international. La sélection pakistanaise est par ailleurs toujours à la recherche d’un premier succès sur son voisin en Coupe du monde qu’il n’a jamais décroché en quatre confrontations.
Le public ne s’y trompe pas : les billets pour le match s’arrachent à prix d’or au marché noir et les sommes mises en jeu dans les paris illégaux atteindraient déjà le milliard de dollars.
"Mohali ressemble à une forteresse"
Voilà pour le plan sportif. Car un match entre deux puissances nucléaires entrées trois fois en guerre l’un contre l’autre depuis 1947 dépasse bien évidemment le cadre du cricket. Le contexte est cette fois-ci d’autant plus important que les rivaux se retrouvent sur le terrain pour la première fois depuis les attentats de Bombay, qui firent 166 morts en 2008. L’Inde, qui affirme que l’attaque a été préparée sur le territoire pakistanais, avait alors suspendu tout dialogue avec son voisin.
À la veille du match, "Mohali ressemble à une forteresse, témoigne Vikram Singh, correspondant de FRANCE 24. Des centaines de policiers quadrillent les abords du stade, et il est inutile de tenter de s’approcher sans être accrédité pour l’évènement. Les forces de l’ordre craignent plus que tout qu’un attentat soit commis."
Au moins 2 000 hommes ont été déployés dans la ville. Une centaine d’entre eux appartiennent au corps des forces spéciales de la province de Punjab, entraînées par les experts du contre-terrorisme israélien. Les chambres d’hôtel ont été fouillées et des policiers doivent s’assurer que les repas des joueurs ne sont pas empoisonnés.
Plus que d’éventuels débordements entre supporters - le hooliganisme est un phénomène inconnu des supporters de cricket -, les autorités redoutent avant tout un acte terroriste. L’attaque visant l'équipe sri-lankaise à Lahore (Pakistan), en 2009, qui avait fait huit morts, est encore dans toutes les têtes.
Gestes de bonne volonté
Surtout, les forces de l’ordre craignent pour la sécurité des personnalités attendues en tribune. Le Premier ministre pakistanais, Youssouf Raza Gilani, a déjà accepté l'invitation de son homologue indien, Manmohan Singh. Ce déplacement sera le premier d’un chef de gouvernement pakistanais en Inde depuis les attentats de Bombay et le gel des relations entre les deux pays. Plus largement, la semaine des demi-finales de la Coupe du monde de cricket coïncide avec la reprise officielle du dialogue de paix entre les deux pays. Mardi, les secrétaires d’État indiens et pakistanais ont clôturé une rencontre de deux jours en annonçant un renforcement de leur coopération en matière de lutte contre le terrorisme.
Une rencontre sportive suffira-t-elle à rapprocher durablement deux pays qui nourrissent une méfiance réciproque ? "La théorie de la 'diplomatie du cricket' est un peu légère et la formule un peu facile", estime Gilles Boquerat, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste de l’Inde et de l’Asie du Sud. "Ce ne sont que des gestes de bonne volonté. Il ne faut pas oublier qu’au Pakistan, il y a un pouvoir civil et un pouvoir militaire. Or rien n'indique que ce dernier soit prêt à s'engager dans la lutte contre le terrorisme. Côté indien, la nouvelle génération de responsables politiques s'active pour un rapprochement avec Islamabad mais le presse toujours de juger les responsables des attentats de Bombay", souligne-t-il. Une blessure qui n’en finit pas de cicatriser, à en croire le dispositif policier autour de la "forteresse" de Mohali.