Promise il y a quelques semaines par Abdelaziz Bouteflika pour apaiser les tensions, la levée de l'état d'urgence est désormais annoncée comme "imminente". Mais pour les spécialistes de l'Algérie, elle aura peu d'influence sur le terrain.
L'état d'urgence, en vigueur depuis 19 ans en Algérie, n'a jamais été aussi prêt d'être levé. Le Conseil des ministres a adopté mardi un projet d'ordonnance abrogeant cette mesure. Prochaine et dernière étape, la publication de ce projet au Journal officiel, annoncée comme "imminente". Instauré en février 1992, puis prorogé en 1993, alors que le Front islamique du Salut (FIS) était sur le point d'emporter la majorité au Parlement, ces mesures accordant davantage de pouvoir à l'armée, au détriment des libertés individuelles, avaient pour objectif de lutter contre les violences extrémistes.
Un État peut décréter l'état d'urgence en cas de péril imminent sur la nation. Certaines libertés fondamentales peuvent alors être restreintes : un couvre-feu peut interdire la circulation à certains lieux et à certaines heures, l'armée peut se voir attribuer des pouvoirs étendus, les médias peuvent être contrôlés, des perquisitions autorisées...
Si la levée de l'état d'urgence est une décision politique très forte, elle ne privera pas l'État de l'arsenal législatif ni des moyens pour juguler la contestation, estime Georges Morin, enseignant spécialiste du Maghreb et auteur de "L'Algérie". "Cette annonce répond d'abord à un impératif médiatique, ajoute Riadh Sidaoui, directeur du Centre de recherches et d'analyses politiques et sociales (Caraps), à Genève. Étant donnée la situation révolutionnaire dans le monde arabe, Abdelaziz Bouteflika doit dire quelque chose, faire quelque chose. Il ne peut pas rester silencieux."
"C'est aussi un signe adressé à l'Occident, pour montrer que le pouvoir algérien est fort et a confiance en lui", ajoute-t-il.
"Les figures politiques ou médiatiques ne font pas peur au pouvoir"
La levée de l'état d'urgence est une revendication de longue date des partis algériens, qui dénonçaient une restriction importante des libertés politiques.
Cette annonce du président Abdelaziz Bouteflika intervient alors que l'Algérie n'est pas épargnée par l'ébullition qui secoue le monde arabe. À deux reprises, la CNCD (Coordination nationale pour la démocratie et le changement) a appelé à des marches place du 1er mai à Alger, malgré l'interdiction de manifester. "Bouteflika, dégage", ont scandé les manifestants qui ont réussi à braver les cordons de sécurité...
Mais si tous les ingrédients d'une explosion semblent réunis - une population pauvre, sans emploi, majoritairement jeune, etc -, le mouvement de contestation algérien n'a pour l'instant pas pris l'ampleur de ceux observés en Tunisie, en Égypte ou en Libye. "Contrairement à ces pays, ce sont des représentants des partis ou d'organisations des droits de l'Homme qui manifestent, explique Georges Morin. Ils n'ont pas la fougue ou le dynamisme de la jeunesse."
L'armée conserve le pouvoir
"Les élites politiques ou médiatiques ne font pas peur au pouvoir, confirme Riadh Sidaoui. La nouvelle génération est descendue dans la rue, au moment où le mouvement touchait la Tunisie voisine, mais elle a été rapidement matée."
L'armée algérienne, véritable puissance politique et économique, est également un obstacle majeur à la propagation de la contestation. L'état d'urgence lui accordait d'importants pouvoirs de police, afin de lutter contre le terrorisme islamiste. Le texte adopté mardi par le Conseil des ministres prévoit que la lutte "contre le terrorisme et la subversion" resteront du ressort des militaires.
"Faire la révolution contre Abdelaziz Bouteflika, c'est possible. Mais contre l'armée ? Elle a livré une véritable guerre au front islamiste, qu'elle a gagnée. Pourquoi voudrait-elle abandonner son pouvoir maintenant ?", insiste Riadh Sidaoui.