Circonscrite au départ à Benghazi, la contestation anti-Kadhafi s'est étendue à Tripoli, dimanche soir. La tension est montée d'un cran à la suite du discours de Saïf Al-Islam, le fils du dirigeant libyen, qui a brandi la menace d'une guerre civile.
La contestation s’est muée en une véritable insurrection et gagne désormais du terrain. Les violences libyennes parties de la ville de Benghazi, épicentre de la rébellion anti-Kadhafi, le 15 février dernier, ont atteint dimanche la capitale Tripoli où des bâtiments publics ont été mis à sac dans la nuit de dimanche à lundi.
Des postes de police, des locaux des comités révolutionnaires, la "salle du peuple" accueillant des réunions officielles ainsi que le bâtiment abritant le ministère de l'Intérieur ont été incendiés, ont rapporté plusieurs témoins à l’AFP.
La tension est montée d’un cran à la suite du discours de Saïf Al-Islam Kadhafi, le fils du dirigeant libyen, à la télévision d’État, dimanche soir. Ce dernier a mis son peuple en garde contre les "risques de guerre civile"... "Si le pays se divise, la Libye tombera dans une guerre civile (...), nous nous entretuerons dans les rues", a-t-il prévenu. "Soit nous nous entendons aujourd'hui sur des réformes, soit nous ne pleurerons pas 84 morts mais des milliers et il y aura des rivières de sang dans toute la Libye".
itUne allocution et des menaces qui n’ont pas convaincu les Libyens, bien au contraire. "C’est un clown, il veut faire peur aux Occidentaux, notamment en brandissant la menace islamiste", confiait à la suite du discours un manifestant au micro de FRANCE 24, "mais c’est lui le véritable danger".
Cette contestation qui gagne en puissance est "très critique pour le gouvernement qui est aujourd’hui à bout de souffle" explique Pierre Cherruau, le rédacteur en chef de SlateAfrique.com à FRANCE 24. "Les hommes politiques commencent à se désolidariser du régime", précise-t-il. "L'ambassadeur de Libye en Inde a démissionné pour protester contre la violente répression contre les manifestants, le ministre de la Justice et le représentant de la Libye auprès de la Ligue arabe aussi".
Benghazi aux mains des manifestants
Pourtant le régime tremble mais ne plie pas. Et, le bilan des manifestations ne cesse de s’alourdir. Human Rights Watch dénombre, de son côté, 233 morts depuis le début de la contestation, dont 60 pour la seule journée de dimanche à Benghazi. Un bilan revu à la hausse par la Fédération internationale des ligues de droits de l’Homme (FIDH) qui avance un nombre de 300 à 400 morts.
itUn triste record détenu en partie par la ville de Benghazi. "Les hôpitaux sont remplis de corps", raconte Abdullah, un employé de l’hôpital de la ville, au micro de nos journalistes. Dimanche, un cortège funéraire a été attaqué, "c’est un véritable massacre qui se passe ici", se lamente-il.
La ville serait pourtant aux mains des manifestants après des défections dans l'armée, a affirmé ce lundi la FIDH. "Un bataillon de militaires s’est retourné contre Kadhafi et cela a complètement changé la situation", raconte Fatima Agiela, une manifestante interrogée par FRANCE 24, "ils ont pris le quartier général de la police qui terrorisait les gens". Outre Benghazi, la FIDH affirme que les localités de Syrte, Tobrouk, à l'extrême est, ainsi que celles de Misrata, Khoms, Tarhounah, Zeiten, Zaouia et Zouara, qui sont plus proches de la capitale, seraient également aux mains des insurgés.
Mais ces mutineries civiles n’ont pas rassuré la population, surtout étrangère. Face à l’annonce d’une répression sanglante, de nombreux Tunisiens de Benghazi ont commencé à quitter le pays pour des raisons de sécurité, craignant de faire les frais de la révolution tunisienne.
"Depuis 24 heures, des petits groupes arrivent en flot continu à la frontière entre la Lybie et la Tunisie", raconte David Thomson, l’envoyé spécial de FRANCE 24, depuis le poste-frontière à Ras-Jdir. "Ils disent fuir le carnage qui sévit dans le pays et le climat de terreur qui s’est installé depuis que le fils Kadhafi les a clairement mis en cause dans son discours de dimanche". Saïf al-Islam a affirmé que "des éléments étrangers tentaient de détruire l’unité du pays" et a grandement insisté sur la différence entre les événements tunisiens et libyens. "La Libye n’est pas la Tunisie ou l’Égypte", a-t-il répété à plusieurs reprises dans son discours.
Ces Tunisiens disent également craindre, les assauts des mercenaires africains qui, selon eux, auraient été payés par le guide libyen pour tirer sur la foule. "Une rumeur encore impossible à confirmer", commente notre correspondant.
L’inquiétude gagne également certains pays comme les États-Unis qui souhaitent que leur personnel diplomatique "non essentiel". quitte la Libye. Quant à la Turquie et à l'Italie, les deux pays ont décidé de rapatrier tous leurs ressortissants. Une démarche suivie par les entreprises pétrolières présentes : le Français Total, le Britannique BP, l’Italienne ENI, et l’Allemande Wintershall, ont également annoncé le retour progressif de leurs effectifs.