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"En adhérant à la contestation, les chefs tribaux légitiment le mouvement"

En Libye, plusieurs chefs tribaux ont apporté leur soutien au mouvement de contestation. Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, revient sur le rôle primordial des tribus dans le système libyen.

Les principales tribus libyennes

Al-Warfallah La tribu la plus importante de Libye, qui rassemblerait un million de personnes. Concentrée dans la région pétrolifère de l'est du pays, où se trouve la ville de Benghazi.

Al-Magariha – La tribu de l'auteur de l'attentat de Lockerbie, le 21décembre 1988, Abdelbaset Ali al-Megrahi.

Al-Zintan – La ville de Zintan a été l'une des premières villes de l'ouest du pays à se joindre au mouvement de contestation actuel.

Al-Kadhafa – La tribu de Mouammar Kadhafi, qui contrôle notamment les forces aériennes libyennes.

Al-Zuwayya Le chef de cette tribu de l'est a affirmé qu'il couperait les exportations de pétrole vers l'Occident si la répression se poursuivait.

"La Libye, à l’inverse de l’Égypte et de la Tunisie, est composée de tribus, de clans et d’alliances", a affirmé Seïf al-Islam, l'un des fils de Mouammar Kadhafi, au cours d'une allocution télévisée dans la nuit de dimanche à lundi. Il a alors mis en garde contre le risque de guerre civile dans le pays.

Bien que le poids des affiliations tribales ait eu tendance à s'éroder, à mesure que l'éducation et l'urbanisation poussaient les Libyens à quitter leur région natale, une part importante des quelque 7 millions d'habitants revendique toujours son attachement à une tribu particulière.

Mouammar Kadhafi lui-même, qui a pourtant clamé son anti-tribalisme tout au long de sa carrière politique, a joué la carte des rivalités entre tribus pour renforcer son emprise sur le pouvoir. Une stratégie du "diviser pour mieux régner" particulièrement efficace au sein de l'armée où toutes les tribus importantes sont représentées.

Si les tribus constituent un réseau important pour les Libyens lorsqu'il s'agit de trouver un emploi, leur influence politique est aujourd'hui mineure. Les Comités révolutionnaires par exemple, sur lesquels s'appuie le régime de Kadhafi, sont constitués de membres de diverses tribus.

Dans ce contexte, comme l’explique Hasni Abidi, les prises de position de certains chefs tribaux en faveur des manifestants contribuent à légitimer le mouvement de contestation à l'égard du pouvoir en place. Entretien.

FRANCE 24 :  Quel rôle jouent les chefs tribaux en Libye ?

Hasni Abidi : Il existe plusieurs dizaines de tribus, subdivisées en petites sous-tribus, qui évoluent sur l’ensemble du territoire et dont le champ d’action social est très vaste. La Libye est l’un des États les plus tribaux du monde arabe. Et historiquement, elles ont joué un rôle très important : elles ont notamment été moteurs de la lutte contre la colonisation italienne.

Officiellement, selon le Livre vert [doctrine politique de Kadhafi rédigée dans les années 70], les chefs tribaux n’ont aucun poids politique. Ils sont en revanche essentiels pour maintenir la cohésion sociale et la stabilité du pays.
FRANCE 24 : Quels rapports entretiennent les chefs tribaux avec Mouammar Kadhafi ?
Hasni Abidi : Après son coup d’État contre le souverain Mohammed Idriss el-Sanoussi en 1969, Kadhafi a voulu calquer l’organisation occidentale sur la Libye, en tentant d’y instaurer un État-nation. Ce faisant, il a mené une attaque frontale contre les chefs tribaux. Il leur a enlevé tout poids politique, mais n’a pas réussi à leur ôter leur force et leur influence.
On le voit d’ailleurs aujourd’hui : Kadhafi récolte ce qu’il a semé il y a quarante ans.
FRANCE 24 : Les chefs tribaux ont-ils une influence dans la révolte que vit actuellement la Libye. Et si oui, laquelle ?
Hasni Abidi : La Libye est le théâtre de révoltes populaires, pas tribales. Mais à l’instar de l’armée, les chefs tribaux peuvent avoir un impact très important dans ce mouvement, jusqu’à pouvoir faire basculer le régime. Ils légitiment la contestation et, par leur adhésion, sont capables d’élargir considérablement les rangs de la révolte. Ils représentent une sorte de caution morale et sociale, un refuge face à l’absence totale d’institutions de l’État Libyen.
La principale tribu libyenne, Al-Warfallah, qui regroupe près d’un million de personnes, a été la première à apporter son soutien à la contestation. C’est un très mauvais signe pour le régime de Kadhafi. Et le pouvoir l’a très bien compris.