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La crise politique en Égypte inquiète fortement l'État hébreu

Israël redoute les conséquences d'un éventuel changement de régime chez son voisin du sud - son allié de 30 ans. Pour la spécialiste Mansouria Mokhefi, le pays aurait pourtant tout à gagner d'une transition démocratique en Égypte.

"La paix avec l'Égypte dure depuis plus de trois décennies. Notre objectif est que cela continue". Cette déclaration, dimanche, du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, traduit l'inquiétude grandissante des autorités face à la crise politique que connaît actuellement l'Égypte, leur principal allié dans la région. Le président égyptien Hosni Moubarak, dont la population exige le départ, est pour l'État hébreu à la fois le garant de la stabilité du pays le plus peuplé du monde arabe et un rempart contre l'islamisme.

Selon des hauts responsables israéliens, cités par le quotidien Haaretz, le ministère des Affaires étrangères a envoyé ce week-end une directive à une douzaine de ses ambassades-clés aux États-Unis, au Canada, en Chine, en Russie et dans plusieurs pays européens. Les diplomates ont été invités à rappeler à leurs pays hôtes, dès que possible, l'importance de la stabilité de l'Égypte.

"On dialogue mieux avec une démocratie"

L'amitié israélo-égyptienne est vieille de 30 ans : en 1979, le président égyptien Anouar el-Sadate est le premier dirigeant arabe à signer un accord de paix avec l'État hébreu - la Jordanie suivra en 1994. Cette relation ne s'est jusqu'ici jamais démentie. Lors de l'opération israélienne "Plomb durci" menée contre la bande de Gaza fin 2008-début 2009, le président égyptien Hosni Moubarak a même refusé d'ouvrir complètement le point de passage de Rafah, pour ne pas froisser Israël.

Selon Mansouria Mokhefi, chargée du programme Maghreb-Moyen-Orient à l'Institut français des relations internationales (IFRI), les inquiétudes d'Israël sont "tout à fait compréhensibles", au vu du caractère soudain et rapide du soulèvement. Elle estime pourtant que l'État hébreu devrait sortir gagnant d'un changement de régime en Égypte.

"On dialogue mieux et de façon beaucoup plus certaine avec un régime démocratique, en phase avec la société civile, assure Mansouria Mokhefi. La paix est aussi extrêmement importante pour l'Égypte ; ceux qui assureront la transition auront tout intérêt à la promouvoir. Jusqu'à présent, elle a été imposée à la population mais elle peut être acceptée si l'on fait évoluer les mentalités."

"À moyen et long termes, une transition démocratique serait bénéfique au processus de paix, qui est totalement dans l'impasse", insiste-t-elle. Sophie Pommier, auteure de "Égypte, l'envers du décors", juge elle aussi "très improbable" une remise en cause fondamentale de la position du Caire vis-à-vis d'Israël, notamment si l'armée, ou des civils proches des militaires, prennent le pouvoir.

Dictature islamiste et jeu de dominos

Et si les Frères musulmans arrivent à la tête de l'État ? Dans la presse israélienne, cette hypothèse est largement évoquée. "Demain, ce sont sans doute les Frères musulmans qui prendront le pouvoir par le biais d’élections démocratiques, sur le modèle turc", affirme un éditorialiste de Maariv, Ben Caspit. "Depuis que les flammes de la démocratie se sont engouffrées dans les rues du Caire, une profonde angoisse nous a saisis, explique de son côté Sever Plocker, un analyste du Yediot Aharonot. Ce que nous craignons, c'est la démocratie comme transition vers une nouvelle dictature, cette fois assise sur l'islam radical." 

Mansouria Mokhefi estime toutefois que ce scénario est avant tout un "fantasme", révélateur de "l'anxiété" des Israéliens. "Les Frères musulmans sont indéniablement encore très présents en Égypte. Lors des législatives de 2005, ils ont obtenu entre 20 et 25 % des voix. Mais cela ne veut pas dire qu'ils sont à même de prendre le pouvoir".

Outre la montée en puissance des islamistes, les Israéliens redoutent un jeu de dominos qui les laisserait encore plus isolés dans le monde arabe. "L'instabilité a saisi le voisin d'Israël au Sud, comme le Liban au Nord, rappelle le Jérusalem Post. Et si ces évènements se propageaient à la Jordanie ?" "Déjà, la Jordanie tremble, tandis que le tyran syrien [Bachar el-Assad] ne dort plus", renchérit le Maariv.

En pleine incertitude, l'État hébreu ne peut compter sur son allié américain pour inciter le président égyptien Hosni Moubarak à se maintenir au pouvoir. Le président Barack Obama a appelé à la "transition", tout comme sa secrétaire d'État, Hillary Clinton, qui a martelé ce message sur cinq chaînes de télévision dimanche soir. "Les Américains ont dépassé le stade de l'inquiétude, explique Mansouria Mokhefi. La situation répond finalement à un vœu de Barack Obama, qui souhaitait voir la démocratie s'instaurer dans la région. Là, il n'a même pas à envoyer ses troupes ! Même si la démocratie arrive trébuchante, chancelante, maladroite, les États-Unis y voient leur intérêt."