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Ben Ali, portrait d'un raïs déchu

Cinq mandats présidentiels, 23 ans de règne, une dérive autoritaire et un départ précipité. Le président Ben Ali a été contraint par la rue de quitter le pouvoir. Les Tunisiens ne veulent plus d'un régime en panne et corrompu.

Avec plus de vingt années passées à la tête du pays, Zine El-Abidine Ben Ali était l'un des doyens des chefs d'État africains. En quittant précipitamment la Tunisie le 14 janvier en raison des violentes émeutes qui secouaient le pays depuis près d'un mois, il est devenu le premier chef d'État arabe à fuir le pouvoir sous la pression de la rue.

À 74 ans, l'ancien président tunisien a trouvé refuge en Arabie saoudite, avec une partie de sa famille. Après cinq mandats à la tête de l'État, il laisse derrière lui une population avide de changement et de libertés et un "modèle économique tunisien" qui ne fonctionne plus.

Dauphin de Bourguiba, il prend le pouvoir en 1987

Né dans une famille modeste de 11 enfants à Hammam Soussen, sur la côte nord-est du pays, en 1936, Zine El-Abidine Ben Ali intègre très tôt le Parti nationaliste Néo-Destour. Après des études en France et aux États-Unis puis différents postes, notamment au sein de l'armée, en Tunisie et à l'étranger, il est rappelé à Tunis en 1984, après les émeutes de la faim, et prend la tête de la Sûreté nationale. Membre du bureau politique du Parti socialiste destourien (PSD), il accède aux premières marches du pouvoir en 1987, en tant que ministre de l'Intérieur, puis Premier ministre.

Il n'est resté à ce poste que six semaines. Sur la foi d'un rapport médical, l'artisan de l'indépendance, Habib Bourguiba, premier chef d'État de la République tunisienne et président à vie, est déclaré sénile et inapte à remplir ses fonctions. Il est déposé le 7 novembre. En sa qualité de dauphin constitutionnel, Zine El-Abidine Ben Ali lui succède. Qualifiée par certains de "coup d'État médical", cette manoeuvre est considérée par d'autres comme une "révolution silencieuse", qui permet "le changement".

Arrivé au pouvoir en qualité de Premeir ministre, Zine El-Abidine Ben Ali prend en mains le PSD, qu'il transforme en Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Il supprime la présidence à vie et est élu président, avec 99,27 % des voix, en 1989. Un score qu'il battra cinq ans plus tard, lorsqu'il obtient 99,91 % des suffrages. Lors de ces deux scrutins, il est l'unique candidat. En 2002, il fait amender la Constitution par référendum pour supprimer la limitation des mandats et rallonger l’âge limite afin de pouvoir déposer une candidature à la présidentielle de 2004. Qu'il remporte, à 68 ans, avec "seulement" 94,4 % des voix. Il est à nouveau réélu en 2009, à 89, 62 %.

Avant le déclenchement des émeutes de Sidi Bouzid, le 17 décembre, beaucoup s'attendaient à ce qu'il modifie la Constitution, qui fixe à 75 ans l'âge maximal pour être candidat à la présidence, pour pouvoir briguer un sixième mandat en 2014.

Développement économique et lutte contre l'intégrisme

Le président tunisien est d'abord populaire, aussi bien en Tunisie qu'à l'étranger. Zine El-Abidine Ben Ali fait du développement économique une priorité, favorise les investissements, mène une politique de privatisation et plusieurs secteurs, notamment le tourisme et l'industrie, connaissent une période de forte croissance. Il oeuvre également en faveur d'avancées sociales, notamment en matière d'éducation - le nombre d'étudiants a été multiplié par dix en 25 ans - et de droits des femmes.

Face à la montée de l'intégrisme, il se lance dans un violent combat contre les islamistes. La répression est très dure, cautionnée non seulement par la plupart des démocrates tunisiens mais aussi par les pays occidentaux, France et États-Unis en tête. Alors que l'Algérie voisine est confrontée à la violence, au terrorisme et à la guerre civile, la "stabilité" du modèle tunisien semble d'autant plus appréciable que la population accepte, dans un premier temps, la reprise en main du pays qui l'accompagne. Pour la majorité des étrangers, la Tunisie du président Zine El-Abidine Ben Ali est avant tout une destination touristique ensoleillée, qui accueille désormais chaque année des millions d'Européens.

Du modèle économique au virage autoritaire

En dépit des plaintes de leaders de l'opposition et d'activistes, qui dénonçaient les atteintes à la liberté d'expression et l'emprisonnement d'opposants politiques, ce n'est qu'au début des années 2000 que les organisations de défense des droits de l'homme internationales commencent à qualifier le régime Ben Ali "d'autoritaire". Les détracteurs du président sortant l'accusent d'avoir réduit au silence toute dissidence. La presse est contrôlée et les libertés sont surveillées.

Zine El-Abidine Ben Ali est aussi accusé d'avoir, avec ses proches, accaparé les richesses et les postes-clés du pays. À la tête d'un parti-État, il s'est notamment appuyé sur sa famille - ses frères et soeurs, ses filles, ses gendres... - mais aussi sur celle de sa seconde épouse, Leïla Trabelsi. Considérée comme plus puissante que n'importe quel ministre, à la tête d'un système de népotisme et de corruption, elle aurait fait main basse sur des secteurs entiers de l'économie.

Dans les manifestations qui ont suivi l'immolation du jeune chômeur de Sidi Bouzid, le 17 décembre dernier, les Tunisiens ont dénoncé le chômage - qui touche aujourd'hui 14 % de la population, mais près de 30 % des moins de 25 ans -, la précarité et le manque de libertés, mais aussi la confiscation du pouvoir et des richesses par une minorité. "Trabelsi ! Bandits !", "Au pain, à l’eau, mais sans les Trabelsi !", "Liberté ! Liberté ! Pas de présidence à vie !", a scandé la rue. Des cris et une mobilisation qui ont mis fin à 23 ans de règne.