Les 14 000 Français installés en Côte d'Ivoire restent suspendus aux soubresauts de la crise ivoirienne. Si beaucoup refusent de commenter la situation, les témoignages recueillis par FRANCE 24 laissent apparaître une prudente tranquillité...
"Je ne suis pas très angoissée, je fais mes courses au supermarché comme d’habitude", raconte Marianne*, une Française d'Abidjan jointe au téléphone par FRANCE 24. Marianne vit avec calme une situation politique très tendue. "L’habitude… j’habite ici depuis longtemps", affirme cette amoureuse de la Côte d'Ivoire, installée depuis plus de 20 ans dans la capitale économique ivoirienne. Pierre, un autre "vieux de la vieille" d’Abidjan, employé ici dans le domaine médical, se dit tranquille. Il n'a pourtant pas mis le nez dehors depuis neuf jours. "Personne n’a l’esprit à travailler, on ne parle que de ‘ça’", ajoute-t-il.
Deux numéros ont été mis en place en cas d’urgence (20 20 05 05) et de menace physique (21 23 51 71) et l’Ambassade française explique que les procédures d’urgence sont en place en cas de dégradation manifeste de la situation.
"Nous avons plusieurs outils : un système d’îlotiers (responsables par quartiers), des réunions à l’ambassade, des points de rassemblement… Bref les procédures d’urgence sont en place au cas où. Il faut dire que la crise est latente depuis plusieurs semaines, alors on a eu le temps de se préparer", explique un membre du personnel diplomatique sous couvert d'anonymat.
"Le couvre-feu, c’est sûr que c’est contraignant, mais il ne dure que de 22 heures à 5 heures du matin. La contrainte est plutôt psychologique, on n’ose pas faire des choses de la vie courante qu’on ferait dans un contexte normal", poursuit Pierre. Un autre Français, habitué aux terrains difficiles, se rappelle : "j’ai vécu ce genre de choses dans d’autres pays, et c’était autrement plus chaud".
Mais le couvre-feu et la dégradation de la situation politique ont pour première conséquence de ralentir considérablement les activités économiques, même si la capitale ivoirienne est loin de ressembler à la ville morte décrite par certains médias. "Pourtant ça bosse, constate Marianne, surtout le matin." Mais lorsque Pierre vient prendre le pouls de l'activité auprès de ses collègues ivoiriens, français ou libanais, "le ralentissement est notable".
Économie au ralenti, médias censurés
C'est cette activité économique au ralenti, assorties de difficultés à circuler et d'administrations en sommeil, qui a provoqué des départs, à en croire l'ambassade française à Abidjan. Les premiers à prendre l'avion sont ceux de France Télécom-Orange, que leur maison-mère a choisi de rapatrier depuis hier. "Vingt départs, ce n’est pas grand-chose, ça ne changera pas la vie économique ici, tempère-t-on du côté de l’ambassade. C’est finalement logique pour ces Français qui n’avaient plus de boulot depuis dix jours, pour ceux qui travaillaient à Abidjan pour une durée limitée, et puis certains qui allaient revenir pour Noël ont juste avancé leur départ."
Alors que les radios et télévisions étrangères n’émettent plus en Côte d’Ivoire depuis leur suspension le 2 décembre par le Conseil national de la communication audiovisuelle (CNCA), l’information devient une denrée rare pour les Français d’Abidjan. "Alors on se renseigne sur des médias numériques, des réseaux sociaux, en faisant attention car la propagande est énorme", explique Pierre, qui dit passer ses journées sur Internet.
L’un des trucs des Français d’Abidjan pour se déplacer : utiliser Twitter, où ils dégottent des informations sur la circulation et les barrages dressés à certains endroits de la métropole. Une bouée de secours alors que la transmission des SMS est souvent impossible… Les consignes de prudence diffusées quotidiennement sur le site Internet du consulat français sont également une source d'information utile.
"En raison des risques d’évolution de la situation, il est demandé à nos compatriotes de limiter leurs déplacements", indique ainsi le dernier "Flash Information", diffusé lundi 6 décembre aux ressortissants français.
"On ne se sent pas menacés" comme en 2004
Les Français qui vivaient à Abidjan à l’époque ont en mémoire les violences de novembre 2004. Dans un contexte explosif, des groupes de "Jeunes patriotes" ivoiriens, attisés par certains médias d’État, avaient mené une campagne de pillages et de viols chez les Français d’Abidjan. "Il y a six ans, c’était la chasse aux Blancs, l’intervention dans les quartiers de brigades qui fouillaient les villas à la recherche de leurs ‘ennemis’", se souvient Pierre.
Mais aucun des Français d’Abidjan ne veut comparer l’ambiance d'aujourd'hui à celle de 2004. "Ce n’est pas du tout la même chose, on ne se sent pas du tout menacés aujourd’hui", observe Marianne, dont l’avis est partagé par la majorité des Français contactés par FRANCE 24.
"Je n’ai pas entendu un seul slogan anti-français comme c’était le cas il y a six ans, conclut Pierre, qui ajoute cependant : "Par contre, ce clivage Ivoiriens-Occidentaux, Gbagbo peut s’en servir comme dernière cartouche s’il se retrouve dos au mur."
* Les prénoms ont été modifiés