Le nom de l'actuel président français apparaît dans des documents d'enquête publiés par le site Mediapart. Interrogé par "Libération", un témoin-clé nie toutefois tout lien entre les rétrocommissions et l'attentat de Karachi en 2002.
Pas de répit pour l’Élysée et les protagonistes du "Karachigate". Alors que l’enquête a connu un coup d’accélérateur la semaine dernière, deux médias ont publié, dimanche soir et lundi matin, de nouveaux éléments précisant les ressorts d’une affaire qui embarrasse le pouvoir.
La première charge vient de Mediapart. Le site Internet d'informations publie des
Le Premier ministre François Fillon a refusé au juge Renaud van Ruymbeke l'autorisation de perquisitionner les locaux de la DGSE à Paris.
"La déclassification temporaire de tout ou partie des locaux de la DGSE (...) ne peut recueillir mon accord", écrit M. Fillon, dans sa réponse datée de vendredi, "compte-tenu en particulier de l'avis défavorable émis ce jour par le président de la Commission consultative du secret de la défense nationale" (CCSDN), selon une source proche du dossier.
La perquisition avait pour objectif de saisir "tout document relatif à l'enquête" sur l’affaire Karachi, comme le contenu des écoutes téléphoniques réalisées en 1995 sur des membres du cabinet de François Léotard lorsqu il était ministre de la Défense de 1993 à 1995, selon la même source.
Cette perquisition était prévue pour mercredi.
documents "impliquant directement le chef de l'État français dans ce dossier de corruption et de vente d'armes". Si l'existence des documents était connue depuis l'été, c’est la première fois que ces derniers sont publiés et font apparaître le nom de Nicolas Sarkozy, qui était, au moment des faits, ministre du Budget et porte-parole de la campagne d'Édouard Balladur, alors candidat à la présidentielle de 1995.
Une société-écran adoubée par Nicolas Sarkozy
Mediapart a mis la main sur une chronologie qui retrace l’histoire de Heine. Cette société financière opaque a été créée au Luxembourg en 1994 par la Direction des constructions navales (DCN) - l’antenne du ministère de la Défense chargée de négocier des contrats d’armement naval, aujourd’hui rebaptisée DCNS - pour permettre le versement de commissions dans le cadre de divers dossiers de ventes d’armes par la France à des pays étrangers.
D’après Mediapart, 33 millions d’euros ont transité par la société Heine, notamment au cours de la vente de trois sous-marins au Pakistan, dans le cadre du contrat Agosta. Une partie de la somme aurait servi à financer la campagne présidentielle d’Édouard Balladur en 1995, par un système illégal de rétrocommissions. Dans cette chronologie découverte par la police française au siège de la DCN, Nicolas Sarkozy apparaît avoir personnellement validé la création de cette société-écran (voir le premier document Mediapart reproduit dans notre diaporama).
Plus compromettant pour le président français, un rapport établi par la police luxembourgeoise, qui enquête sur les activités de la société Heine, évoque explicitement le nom de Nicolas Sarkozy. C’est la première fois qu’un document citant directement l'actuel locataire de l'Élysée est publié : "En 1995, des références font croire à une forme de rétrocommission pour payer des campagnes politiques en France. Nous soulignons qu’Édouard Balladur était candidat à l’élection présidentielle en 1995 […] et était soutenu […] par Nicolas Sarkozy" (voir le second document Mediapart reproduit dans notre diaporama).
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© {{ scope.credits }}"Il n’y a pas de lien" entre les commissions et l’attentat
Commissions et rétrocommissions sont au cœur de l’affaire Karachi et touchent directement l’Élysée. Ces dernières pourraient, si leur existence est établie, montrer qu’Édouard Balladur a illégalement financé sa course à la présidence 1995, alors orchestrée par Nicolas Sarkozy.
Plus grave encore, les commissions versées pourraient aussi être à l’origine de l’attentat de Karachi le 8 mai 2002, au cours duquel 11 Français, des salariés de la DCN, avaient été tués. La thèse est simple : élu à la tête de l'État français en 1995, Jacques Chirac aurait demandé de cesser les versements à des intermédiaires pour le contrat Agosta, entraînant la vengeance, plusieurs années plus tard, de ces intermédiaires aidés par les services secrets pakistanais (ISI).
L’existence de rétrocommissions, qui reste un point sombre de l’affaire Karachi, fait encore moins de doute depuis les déclarations, la semaine dernière, de l'ancien ministre de la Défense Charles Millon, et de l’ex-Premier ministre Dominique de Villepin : l’un parle "d’intime conviction", l’autre de "très forts soupçons" quant à l’existence de ces versements illégaux.
Pourtant, d’après un article publié lundi matin dans "Libération", l’arrêt du versement de ces rétrocommissions ne serait pas à l’origine de l’attentat de Karachi. C’est un ancien cadre supérieur de l’armement, Michel Mazens, qui l’affirme au quotidien. "L'attentat s'est déroulé longtemps après cet épisode. À mon sens, il n'y a pas de lien entre les deux. Je n'ai jamais reçu la moindre information qui m'aurais permis de le penser", déclare ce témoin-clé au journaliste Guillaume Dasquié.
L’audition d’Alain Juppé - l’actuel ministre de la Défense était à l’époque Premier ministre, de 1995 à 1997 - demandée par les familles des victimes de l’attentat de Karachi, pourrait permettre d’y voir plus clair.