Dans leur rapport annuel sur les atteintes aux libertés religieuses dans le monde, les États-Unis égratignent la France. En cause : la loi contre le port de la burqa dans les lieux publics. Une interdiction mal comprise outre-Atlantique.
Le département d'État américain a publié cette semaine son rapport annuel sur les atteintes contre les libertés religieuses dans le monde. "Plusieurs pays européens ont imposé de sévères restrictions à l'expression religieuse", a fait remarquer la secrétaire d'État, Hillary Clinton, lors de sa présentation à Washington.
Son adjoint aux droits de l'Homme, Michael Posner, a pour sa part nommément pointé la France du doigt à cause de sa loi sur l’interdiction du port du voile intégral dans les lieux publics. "Aux États-Unis, nous avons défendu devant les tribunaux le droit des musulmanes à porter une burqa dans la rue, à l'école, etc. Telle est notre position", a-t-il souligné.
Se pose alors une question : quelle légitimité ont les États-Unis pour juger une loi française ? "Les États-Unis sont assez forts pour donner des leçons aux autres, commente Pierre Conesa, directeur général de la Compagnie européenne d’intelligence stratégique. C’est d’ailleurs un exercice auquel beaucoup de démocraties se prêtent. La France est aussi douée en la matière... Ce rapport est, selon moi, une façon pour eux de défendre leur point de vue sur la liberté religieuse."
Deux pays, deux conceptions de la religion
Les deux pays ne partagent effectivement pas le même rapport à la religion. "Il s’agit de deux universalismes", analyse Mohamed Adraoui, chercheur en sciences sociales et enseignant à Sciences-Po. Selon lui, en France, l’État se protège de l’Église, tandis qu'aux États-Unis, l’Église influe plutôt sur l’État. À titre d’exemple, le chef de l'État français prête serment sur la Constitution alors que le président américain le fait sur la Bible.
Aux États-Unis par ailleurs, la liberté de religion figure dans le Ier amendement de la Constitution. "Historiquement en effet, de nombreuses minorités persécutées à travers le monde y ont trouvé refuge", explique Pierre Conesa.
Ce postulat ne prend pourtant pas en compte un phénomène majeur. "Aujourd'hui, toutes les religions monothéistes sont confrontées à l'intégrisme religieux", poursuit celui-ci. Et les États-Unis n'échappent pas à la règle : la droite religieuse américaine remet en effet régulièrement en question les valeurs démocratiques.
Ces dernières années, au moins sept médecins pratiquant l’avortement ont été assassinés par des militants opposés à l’IVG aux États-Unis. Le projet de construction du centre culturel musulman près de Ground Zero, à New York, a également provoqué une levée de boucliers dans les milieux évangélistes, alors que le président Barack Obama et son administration s’étaient montrés favorables au projet.
"Faire vivre les rêves de liberté, d'égalité et de fraternité"
"C’est pourquoi je pense que les États-Unis n’ont pas de leçons à donner sur la religion", rétorque Pierre Conesa, dont les propos font écho à ceux du député UMP Jacques Myard qui a demandé au Quai d'Orsay de convoquer l'ambassadeur américain à Paris.
Qui est alors en mesure de juger des libertés religieuses ? "L’ONU, qui s’appuie sur la déclaration universelle des droits de l’Homme", avance Pierre Conesa, tout en apportant une nuance à ses propos : "Elle est aussi composée de gouvernements". L’ONU a déjà blâmé la France à plusieurs reprises, notamment sur la loi de mars 2004 qui interdit les signes religieux ostentatoires à l’école. Après le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy en juillet dernier, les experts onusiens avaient par ailleurs relevé une "recrudescence notable du racisme et de la xénophobie" dans le pays, tout en appelant la France à "faire vivre les rêves de liberté, d'égalité et de fraternité".