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Le verdict du procès d'Abou Zhara est tombé : coupable. Accusé de préparer des attentats en France, ce chauffeur livreur de Nancy, âgé de 35 ans, affirmait travailler pour les services secrets français.

Djihadiste convaincu pour certains, "indic" sacrifié par la Direction de la surveillance du territoire (DST) pour d'autres, les journalistes français ne savent que penser du personnage d'Abou Zhara, un Nancéen de 35 ans arrêté en mai 2007 pour "association de malfaiteur en vue de préparer des actes de terrorisme" en France. Le verdict de son procès est attendu le 22 janvier à Paris, dans une affaire qui, selon l'avocat de la défense Frédéric Berna, comporte trop de "zones d'ombres". 

C'est à six heures du matin que les agents de la DST et du RAID (une unité d'élite de la police française) ont frappé à la porte de Kamel Bouchentouf, un chauffeur livreur à Nancy qui se présentait sous le nom de "frère Abou Zhara" sur le Net.

Selon l’instruction, Kamel Bouchentouf, placé en garde à vue le 2 mai 2007, a avoué qu'il voulait commettre des attentats contre le consulat américain au Luxembourg et contre le 13e Régiment de dragons parachutistes de Dieuze. De plus, Abou Zhara serait rentré en contact avec le réseau Al-Qaïda au Maghreb.

Mais la version des faits présentée par Kamel Bouchentouf est tout autre. Cet ancien militaire affirme que ses aveux ont été obtenus sous la pression et qu'il était infiltré pour la DST, permettant à celle-ci de se rapprocher des islamistes d'Abelmalek Droukdal, le chef d'Al-Qaïda au Maghreb. Le 30 avril 2007, la DST dit avoir intercepté une vidéo de Kamel Bouchentouf où il affirme vouloir préparer des attentats.

"Une personnalité instable", selon un commissaire principal

Des listings téléphoniques du portable de Kamel Bouchentouf montrent en effet qu'il entretenait une relation étroite avec la DST. L'enquête a permis de relever environ 30 contacts téléphoniques entre le portable de Kamel Bouchentouf et les services de la DST pendant les huit mois précédant son arrestation.

Dans une note adressée tardivement à l'instruction, la DST justifie ces contacts avec l'accusé. "Kamel Bouchentouf a suscité l'attention de nos services", écrit un commissaire principal de la police, ajoutant qu'il avait une "personnalité suffisamment instable pour qu'une pression de contact soit maintenue". Mais le commissaire conclut que "cette procédure ne peut en aucun cas être assimilé à un recrutement".

Lors d'une perquisition au domicile de l'accusé, les policiers ont trouvé deux bonbonnes de gaz, un extincteur vide, et de la documentation sur la fabrication d'explosifs. Le parquet demande une peine de sept à huit ans d’emprisonnement contre Bouchentouf.

Version contestée par l'avocat

A en croire l’avocat Frédéric Berna, la DST aurait approché Kamel Bouchentouf, un Français d'origine algérienne qui ne cachait pas sa désapprobation des puissances occidentales, pour infiltrer les milieux islamistes. Les services lui auraient fait miroiter la possibilité d'obtenir la garde de sa fille pour qu'il accepte de rendre quelques services sur le Net, tel que la création de sites et l'envoi de mails.

C'est ainsi que Kamel Bouchentouf serait entré en contact avec Salah Gasmi, le responsable de l'information d'Al-Qaïda au Maghreb, l'ex-GSPC, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat. Selon les mails détenus par l'avocat, l'accusé avait obtenu un rendez-vous avec ce dernier en Algérie. C'est là que tout aurait basculé.

Dans le dernier mail entre Kamel Bouchentouf et le mail identifié comme étant celui de Gasmi, le Nancéen termine son message avec un post-scriptum plutôt énigmatique: "Auriez-vous l'obligeance de m'indiquer les référence coraniques qui traitent de la trahison d'un frère musulman envers un frère. " Requête qui suscite immédiatement la méfiance chez son correspondant. Dans les jours qui suivent Kamel Bouchentouf est interpellé.

La DST aurait-elle ainsi perdu le contrôle de sa recrue, créant un potentiel danger pour la France ? Option que n'exclut pas un ancien de la DST. Selon lui, si l'accusé dit vrai, la conclusion de l'affaire n'est pas logique. "On arrête pas quelqu'un avec qui on travaille, explique-t-il. Soit l'individu a échappé aux services, soit un service voulait en faire plus ou peut-être qu'il y a eu un dysfonctionnement entre services."

Liberté, égalité, efficacité

"Nous n'avons eu aucun moyen de vérifier les faits troublants avec la DST", s'exclame Frédéric Berna, qui est abasourdi que l'enquête ait été confiée à la DST.

Malgré les demandes des avocats de Kamel Bouchentouf, les agents de la DST n'ont pas été entendus pendant les audiences du procès. Le juge d'instruction, Philippe Coirre, a demandé la permission à la DST, qui refusait pour cause de secret défense.

Le rôle qu'occupe la DST dans ce procès est problématique, selon Anne Guidicelli, la directrice de l'agence Terrorisc : "Le problème dans ce dossier, quelle qu'en soit l'issue, c'est que la partie responsable de l'enquête est aussi mise en accusation, d'où un conflit d'intérêt."

La double casquette service de renseignement et police judiciaire de la DST est une particularité de la France, particularité qui, depuis les attentats du 11-Septembre 2001, est devenue un élément capital dans la lutte antiterroriste.

"Depuis les années 80, la France a appris à connaître le terrorisme proche et moyen oriental",  explique un ancien de la DST. "Elle a su développer une structure législative adaptée au terrorisme", une structure qui permet de centraliser les affaires et qui encourage la proximité et le dialogue entre les magistrats et la DST.