Loin derrière le prix Nobel de la paix ou de littérature, le prix Nobel d’économie semble, pour le grand public, une récompense dont seuls se réjouissent les initiés. Pourtant, ces recherches ont un réel impact sur le monde.
Alors que le monde se remet lentement de la plus grave crise depuis la Seconde Guerre mondiale, l’académie suèdoise des Nobels décernera lundi le prix en économie. Un domaine que beaucoup jugent très, voire trop académique.
Pourtant les personnalités récompensées ces dernières années ont toutes effectué un travail de reflexion qui non seulement était loin d’être éloigné des problèmes du monde mais qui correspondait à un message délivré par l’académie des Nobels. Décryptage.
2009 : Elinor Ostrom et Oliver E. Williamson. Certes Elinor Ostrom est la première femme à avoir reçu un prix Nobel d'économie. Mais, outre le symbole, les travaux de ces deux chercheurs sur les modes de gouvernance alternatifs ont un sens bien particulier en cette période de crise du capitalisme. La thèse d'Elinor Ostrom est de montrer qu'il existe une autre voie que celles de l'entrepreneuriat privé ou de l'économie nationalisée. Elle soutient que des collectivités autonomes peuvent très bien rendre une activité pérenne. Cette politologue - et non pas économiste - le démontre à travers le succès de projets environnementaux locaux. Cette défense d'un certain collectivisme environnemental a fait d'elle une personnalité souvent citée par les mouvements écologiques qui s'en inspirent pour dénoncer les dérives supposées du capitalisme.
2008 : Paul Krugman. C’est sûr qu’un prix Nobel pour les " travaux sur le commerce international en concurrence imparfaite et en économie géographique" ne fait pas grand sens pour le commun des mortels. Mais Paul Krugman représente surtout la voix la plus populaire de la pensée néo-keynésienne contemporaine. Ce chroniqueur régulier pour le New York Times est l’un des plus féroces détracteurs d’un certain libéralisme tel qu’il est conçu dans les cercles les plus conservateurs aux États-Unis. Avec Paul Krugman, c’est donc un défenseur du rôle de l’État dans l’économie qui est récompensé quelques semaines seulement après la faillite de la banque Lehman Brothers.
2007 : Leonid Hurwicz, Eric S. Maskin, Roger B. Myerson. Au-delà des hommes, c’est une théorie bien particulière qui est récompensée en 2007 : celles des mécanismes d’incitation. Pendant plus de 30 ans, ces 3 chercheurs ont démontré que les acteurs du marché agissaient en fonction de leur propre intérêt et pouvaient dissimuler des informations lors de transactions économiques. Un comportement qui peut fausser la "perfection" du marché. La théorie de l’incitation tend à prouver que les autorités peuvent rectifier les choses en promettant la carotte ou le bâton. Ces travaux trouvent des applications très concrètes aujourd’hui avec les tentatives de réguler les marchés financiers.
2006 : Edmund E. Phelps. Voilà un prix Nobel qui n’a pas enchanté les défenseurs du modèle économique français. En 2006, l’académie suèdoise récompense en la personne d’Edmund E. Phelps l’un des plus grands penseurs de la croissance à l'anglo-saxonne. Il est notamment le co-inventeur avec Milton Friedman, dans les années 60, du concept de chômage naturel. Une théorie selon laquelle le chômage existera toujours, même dans le meilleur des mondes économiques. En effet, certaines personnes estimeront toujours que le salaire "optimal" est trop bas tandis que les sociétés refuseront de payer plus. En clair, il ne sert à rien de rechercher le plein emploi et il faut laisser le marché trouver le prix "juste" qui déterminera le salaire "optimal". Dans une chronique au lendemain de la remise de son prix Nobel, Edmund Phelps citera des pays européens, dont la France, comme des exemples d’économie à ne pas suivre.
2005 : Robert Aumann et Thomas C. Schelling. Qui pourrait croire que le prix Nobel décerné pour des travaux dans le domaine de la théorie du jeu fut l'une des récompenses les plus polémiques de ces dernières années ? Pourtant, la consécration du mathématicien Robert Aumann a fait couler beaucoup d’encre. Cet américain qui possède aussi la nationalité israélienne a, en effet, tenté de justifier avec ses théories la politique israélienne en Cisjordanie et à Gaza. Quant à Thomas C. Shelling, il est l’auteur de l’un des ouvrages les plus célèbres de stratégies militaires. Lors de conflits, il soutient que la capacité de riposte est plus efficace que celle de défense. Une position qui a largement influencé les stratégies nucléaires des deux grandes puissances pendant la guerre froide.