![Le Nobel de littérature à Mario Vargas Llosa, le plus européen des auteurs péruviens Le Nobel de littérature à Mario Vargas Llosa, le plus européen des auteurs péruviens](/data/posts/2022/07/15/1657919012_Le-Nobel-de-litterature-a-Mario-Vargas-Llosa-le-plus-europeen-des-auteurs-peruviens.jpg)
Le Nobel de littérature 2010 a distingué l'écrivain Mario Vargas Llosa. Homme de lettres autant qu'homme politique, ce romancier et essayiste hispano-péruvien a construit son œuvre autour de la "résistance" et de la "révolte" de l'individu.
La décision de remettre à l’auteur hispano-péruvien Mario Vargas Llosa le prix Nobel de littérature tombe à la fois comme une surprise et comme une évidence. La notoriété de cet écrivain est si importante et sa nobélisation tant de fois attendue que son nom n’était même pas cité par les bookmakers ni par les critiques littéraires. Paradoxalement.
Auteur prolifique de 74 ans, depuis le marquant "La Ville et les chiens" en 1963, Mario Vargas Llosa est une figure majeure de la littérature latino-américaine, prix Cervantes en 1994. Mais le terme d'"écrivain péruvien" convient mal à ce nomade, citoyen espagnol depuis 1993, et "presque considéré comme un écrivain européen", fait remarquer Augustin Trapenard, chroniqueur littéraire à FRANCE 24. Il est très cosmopolite et voit même Paris comme la capitale latino-américaine ! Il est un peu l'homme de toutes les contradictions."
En annonçant le prix Nobel, ce jeudi, l'académie suédoise a salué "sa cartographie des structures du pouvoir et ses images aiguisées de la résistance de l'individu, de sa révolte et de son échec". Il s’agit effectivement d’un écrivain qui porte une riche réflexion sur l’individualité, le libéralisme, la révolution cubaine, et qui a été lui-même, en 1990, candidat - malheureux - à l’élection présidentielle du Pérou.
Après une enfance en Bolivie et au Pérou, il part pour l’Europe. Paris exerce sur lui une attraction toute particulière. "Si je devais choisir une seule ville où vivre, je choisirais Londres. Mais Londres n’a pas produit chez moi cette passion que me produisit la découverte de Paris. Mes sept années parisiennes furent les plus décisives de ma vie. C’est là que je suis devenu écrivain, que j’ai découvert l’amour-passion dont parlaient tant les surréalistes, là où j’ai été plus heureux, ou moins malheureux, que nulle part ailleurs [...] Je n’exagère pas si je dis que j’ai passé toute mon adolescence à rêver de Paris", dit-il dans le cadre de l'exposition La liberté et la vie qui lui est consacrée en ce moment à la Maison de l'Amérique latine, à Paris.
Durant ses années parisiennes, Llosa exerce le métier de journaliste à l’AFP et celui de professeur d’espagnol. Surtout, c’est dans la capitale française qu’il rédige "La Ville et les chiens", basé sur ses souvenirs d’adolescents à l’académie militaire Leoncio Prado de Lima. Le livre lui vaut, en Espagne, le Prix de la Biblioteca Breve. Il n’a que 27 ans et déjà une solide réputation. Son talent est confirmé trois ans plus tard avec "La Maison verte".
Ses premières amours politiques l’entraînent vers Cuba, au moment de la révolution castriste. Mais la séduction du marxisme cubain tourne court, et Llosa adopte une position libérale qu’il défend encore aujourd’hui. Entre-temps, il ne quitte pas de vue la littérature. En 1969, son roman documentaire "Conversation à la cathédrale" renforce sa notoriété.
Chez Vargas Llosa, réflexion sur la société et écriture vont de pair. Il moque le fanatisme militaire dans "Pantaleon et les visiteuses" (1973), dépeint la politique brésilienne dans "La Guerre de la fin du monde" (1982), plonge dans la guérilla urbaine au Pérou avec "Qui a tué Palomino Molero ?" (1986). Sans oublier son récit autobiographique "Le Poisson dans l'eau" (1993) ou encore "La Fête au bouc" (2002).
Sa passion pour l’engagement politique l’amène à se présenter à l’élection présidentielle péruvienne, en 1990. Donné gagnant dans les sondages, fort d'un score très encourageant au premier tour, Llosa se fait battre au deuxième tour par un homme politique alors quasi-inconnu : Alberto Fujimori. L'homme de lettres part en exil à Madrid et demande la nationalité espagnole, qu’il obtient en 1993.
Depuis lors, son rapport avec son pays est faussé. "Dans les années 1990, le Pérou a eu l’impression que Llosa l’avait délaissé, que le peuple péruvien n’était pas assez bien pour lui. Cerise sur le gâteau : il avait demandé la nationalité espagnole, commente le correspondant de RFI à Lima, Éric Samson, lors d’une émission spéciale consacrée à l’écrivain en novembre 2009. Mais les temps ont changé et Llosa est considéré aujourd'hui comme un vieux sage, souvent consulté et connu pour ses positions libérales."
Un sage qui aurait bien aimé débattre face au président vénézuélien Hugo Chavez l'année dernière… mais la rencontre a finalement été annulée. Un homme qui écrit régulièrement dans le quotidien espagnol "El Pais", et qui, récemment, a vertement commenté la politique israélienne à Hébron, en Cisjordanie.
Même sur la politique française, Vargas Llosa a un avis. Dans l’émission Culture Vive sur RFI, avec Sophie Ekoué, ce citoyen du monde affirme ne pas comprendre le débat sur l’identité nationale promue par le ministre français de l’Immigration, Éric Besson. "Je suis contre l’idée de se chercher une identité collective, ce sont des artifices dangereux. Un individu peut au contraire choisir son identité, et s’émanciper de la tribu. Parler d’identité-collectivité, c’est revenir au primitivisme où l’individu disparaît. Je suis tout à fait contre."
Après son échec à la présidentielle péruvienne, Llosa reprend sa plume, activité qu’il prend très au sérieux. "Je suis convaincu qu’une société sans littérature, ou pour laquelle la littérature est reléguée aux marges de la vie privée, comme la pratique d’un vice caché […] est condamnée à devenir barbare et même, met en danger sa propre liberté", écrit-il dans la revue américaine "The New Republic".
Son 17e roman, "Le Songe du Celte" doit paraître le 3 novembre en espagnol (en 2011 dans sa version française, aux éditions Gallimard). Vargas Llosa a travaillé pendant près de trois ans sur ce livre qui narre la vie de l'Irlandais Roger Casement, un diplomate britannique qui fut l'un des premiers à dénoncer les atrocités commises dans le Congo de Léopold II au début du XXe siècle.
Crédit photo : dadevoti/Flickr