
Deux ans après la spectaculaire chute de la banque d'affaires Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, la décision politique de laisser ce fleuron de la finance américaine s'effondrer suscite aujourd'hui de plus en plus de critiques.
New York, 15 septembre 2008, peu avant 1 heure du matin, la banque Lehman Brothers annonce qu’elle dépose son bilan. Deux ans plus tard, le monde paie toujours l’addition de ce qui aura été la plus importante faillite bancaire de l’histoire américaine. La chute de ce géant de la finance aurait déjà coûté aux contribuables américains 2 milliards de dollars rien qu’en frais d’avocats. La note est si lourde que de plus en plus de personnes se demandent si cet effondrement n’aurait pas pu - et dû - être évité.
Les partisans de cette thèse ont trouvé, début septembre, un allié de poids. Le démocrate Phil Angelides, le chef de la Commission d’enquête parlementaire sur la crise financière, est arrivé peu ou prou à la même conclusion. "Il apparaît que la faillite [de Lehman Brothers] a été précipitée par un choix politique conscient", a-t-il déclaré le 1er septembre. Un point de vue contesté par le Trésor américain qui a affirmé "avoir tout fait pour trouver un repreneur à l’époque".
Pour appuyer ses propos, Phil Angelides retrace dans un rapport de 322 pages les tractations menées en coulisses pour aboutir, en mars 2008, au sauvetage de la banque Bearns Stearns et... à la faillite de Lehman Brothers, quelques mois plus tard. Deux poids deux mesures illustrés par des courriels échangés en haut lieu. "La presse va nous descendre si on sauve en plus Lehman Brothers", écrivait ainsi dans un courrier électronique le chef de cabinet du Trésor, le 9 septembre 2008
"Faire un exemple de Lehman Brothers"
C’est la banque Barclays qui a récupéré le gros lot du dépeçage de Lehman Brothers. Dès septembre 2008, le groupe britannique a pu racheter les activités de Lehman aux États-Unis ainsi que son siège pour 1,7 milliard de dollars.
Mais c’est un établissement beaucoup moins connu, la maison de courtage japonaise Nomura, qui a raflé la mise sur les autres filiales de la défunte banque américaine. Coup sur coup, en septembre 2008, elle a acheté les actifs de Lehman Brother en Asie-Pacifique, en Europe et au Moyen-Orient. Un ensemble pour lequel le groupe japonais a dépensé 2 milliards de dollars.
Lors de son audition devant le Congrès, le 1er septembre 2010, l'ancien patron de Lehman Brothers, Richard Fuld, a même estimé qu’en le lâchant les pouvoirs politiques américains avaient leur part de responsabilité dans la crise économique. "C’est sûr que sauver Lehman Brother aurait été moins coûteux que tous les plans de soutien au système bancaire qui ont été appliqués par la suite", reconnaît Mathieu Plane, économiste au Centre de recherche de Science-Po.
"Il faut cependant faire la distinction entre la faillite qui a été le déclencheur de la crise, et la décision politique qui l’a accélérée", souligne Mathieu Plane. Les pouvoirs publics auraient voulu faire un exemple de Lehman Brothers. "Cela a tellement bien fonctionné que cela n’a pas fonctionné", poursuit l’économiste.
En effet, en lâchant cette giga-banque, toutes les autres sont devenues suspectes aux yeux des marchés et le système s’est complètement grippé. La décision politique est à l’origine de la panique qui s’est propagée. "Sans cette panique, la crise n’aurait pas été aussi profonde", confirme Mathieu Plane.
Ironie de l’histoire, en laissant mourir Lehman Brothers, les autorités américaines pensaient prouver qu’il n’y avait pas de banque "too big to fail" (trop grosse pour échouer), et c’est l’inverse qui se produit. "Toutes les banques qui ont survécu à la crise ont grossi et aujourd'hui les banques sont plus grosses que jamais pour pouvoir chuter", explique Mathieu Plane.