Depuis plusieurs semaines, des voix s’élèvent au sein de l'UMP pour critiquer la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy. Y-a-t-il un risque d'explosion du parti ? Décryptage avec Bruno Jeanbart, directeur des études politiques chez Opinion Way.
Depuis le discours de Grenoble prononcé par Nicolas Sarkozy le 30 juillet au cours duquel il a fait un lien entre sécurité et immigration et a souhaité élargir les cas de déchéance de nationalité, un malaise s’est immiscé dans les rangs de l’UMP et au gouvernement. Le 23 août, l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a ainsi critiqué la "dérive droitière" de l'UMP. Le lendemain, c’était au tour de son successeur, Dominique de Villepin, de s’insurger de la "faute morale" du gouvernement et de dénoncer la "tache de honte sur notre drapeau".
C'est ensuite Christine Boutin, ex-ministre du Logement, qui s’est élevée contre les déclarations présidentielles. La présidente du Parti chrétien-démocrate (PCD), associé à l’UMP, a estimé que le PCD "ne [pouvait] pas cautionner une stigmatisation des communautés, la culture de la peur", allant jusqu’à parler de "fêlure" dans sa relation avec la formation présidentielle.
La semaine dernière, le ministre de la Défense, Hervé Morin, n’a pas non plus caché ses divergences avec le chef de l'État sur le plan sécuritaire, lors des universités d'été de son parti, le Nouveau Centre. puis, lundi, le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, est monté au créneau, affirmant qu’il n’était "pas content de ce qui s'est passé, (ni) de la polémique". Et d’ajouter qu'il avait songé à démissionner, mais que cela n'aurait servi à rien.
Le Premier ministre François Fillon est, lui aussi, sorti de sa réserve en reconnaissant qu’il y avait bien un "malaise" à droite sur la question de la sécurité.
L’UMP, qui a fait sa rentrée politique en toute discrétion ce mardi lors du campus des Jeunes Populaires, ne semble plus se ranger de façon unanime derrière le président Sarkozy. Pour Bruno Jeanbart, directeur des études politiques chez Opinion Way, ces voix discordantes ne menacent en rien la cohésion de l'UMP, qui reste uni derrière un chef incontesté. Entretien.
France24.com : Assiste-t-on à la fin de l’unité de l’UMP ?
Bruno Jeanbart : À chaque fois qu’un parti apparaît affaibli en termes de popularité, on observe que les quelques membres postés sur leur réserve osent enfin s’exprimer. C’est un phénomène classique.
Mais on ne fait qu'assister, en fait, à la réapparition de clivages traditionnels. On pouvait penser qu’ils n’existaient qu’à gauche, mais ils sont aussi présents à droite. Il ne faut pas oublier que, derrière une unité de façade, il y a toujours eu plusieurs droites en France : des centristes, des gaullistes, etc. Celles-ci n’avaient pas disparu avec la création de l’UMP en 2002, ni avec l’élection de Sarkozy en 2007. Je parlerai, non pas de rupture, mais de réémergence de courants qu’on pensait enterrés.
Il faut également rappeler que la majorité n’a jamais été sarkozyste. Les membres du parti présidentiel le sont devenus car le leadership de Nicolas Sarkozy était incontestable, non par proximité idéologique. Aujourd’hui s’est produit un réveil pour certains, mais cela n’a rien de surprenant. Je pense notamment à Jean-Pierre Raffarin, historiquement issu d’un courant libéral-démocrate, qui n’a jamais été un proche de Sarkozy.
Ces divisions peuvent-elles porter préjudice au parti ? Faut-il s'attendre à voir apparaître des scissions à l'approche de l'élection présidentielle de 2012 ?
B.J. : Si les dissensions font peur aux partis, ce n'est pas le cas de l'opinion publique, qui préfère voir des débats agiter les formations politiques plutôt que d'avoir affaire à des partis monolithiques. Un parti ne doit pas donner le sentiment de refuser le débat par principe : il a autant à y perdre qu’à afficher quelques divisions.
Concernant l’échéance présidentielle, il n’y pas de concurrence possible car Sarkozy reste le leader incontesté de la droite. Il n’y a pas de dissident, sauf peut-être Dominique de Villepin, membre de l’UMP, qui a fondé son propre parti [République solidaire, NDLR]. Mais il ne récolte que très peu de soutien dans les rangs de l’UMP.
Est-ce un pari risqué pour Sarkozy de miser sur le tout sécuritaire ?
B.J. : Le président a absolument besoin de conserver un leadership sur ce sujet. Mais il doit aussi faire attention de ne pas s’écarter de l’emploi et des questions sociales et économiques. Tout va dépendre de l’équilibre qu’il garde entre cette thématique sécuritaire et les autres grandes questions qui traversent le pays.
Les préoccupations des Français restent avant tout le chômage et la protection sociale. Selon les enquêtes d’opinion, l’enjeu sécuritaire gagne du terrain depuis l’hiver dernier. Il faut savoir que depuis quelques semaines, les Français sont satisfaits de l'action du chef de l'État dans ce domaine, car ils ont réalisé qu’il y avait encore beaucoup de problèmes à résoudre.
Mais je pense que les débats de cette rentrée vont se déplacer, et ce dès la semaine prochaine avec la mobilisation du 7 septembre pour les retraites. La rentrée sociale va reprendre ses droits !