
De ses premiers pas dans la magistrature à ses débuts en politique, la franco-norvégienne Eva Joly a gardé le même cheval de bataille : la lutte contre la corruption. Depuis deux ans, elle a ajouté l'écologie à la liste de ses combats. Portrait.
C’est incontestablement vers elle que se tournent tous les regards pendant les journées d’été des Verts et d’Europe Ecologie à Nantes. La candidature d'Eva Joly (de son vrai nom Gro Eva Farseth), eurodéputée depuis juin 2009, se profile en effet pour porter la bannière du mouvement écolo lors de la présidentielle de 2012. "Si les militants me choisissent, évidemment", précise l’ex-magistrate au regard pétillant, entrée en politique il y a à peine deux ans.
- 5 décembre 1943 : naissance à Oslo (Norvège)
- 1962 : décroche une bourse après un concours de beauté et émigre en France
- 1967 : épouse Pascal Joly, étudiant en médecine
- 1981 : entre à l'Ecole nationale de la magistrature
- 1990 : nommée juge d’instruction au pôle financier du tribunal de Paris
- 1993 : début de l’affaire Elf
- 2002 : fin du premier volet de l’affaire Elf. Eva Joly démissionne de la magistrature. Départ pour la Norvège
- 2003 : Déclaration de Paris, un programme de lutte contre la corruption
- 2009 : élection au Parlement européen
L’ancienne magistrate fait consensus
Peu de voix s’élèvent au sein du mouvement contre cette éventuelle candidature. Chez les Verts, composante principale d’Europe Ecologie, Eva Joly a d’abord fait grincer des dents mais fait maintenant consensus. Même Jean-Vincent Placé, le numéro 2 du parti qui avait estimé début juin que l’élue européenne "était peut-être trop vieille", a fini par ravaler ses mots. Cécile Duflot, secrétaire générale des Verts un moment tentée par la présidentielle, s’est quant à elle écartée, affirmant jeudi dans les colonnes du Nouvel Observateur qu’elle "ne pensait pas avoir les épaules assez larges pour porter seule une telle charge".
Auprès des militants aussi, Eva Joly fait l’unanimité. Sa voix calme, sa timidité – que d’aucuns disent feinte – et ses mimiques de jeune fille séduisent. En deux ans, elle a appris à maîtriser les codes politiques. "Elle apprend très vite, remarque Dominique Voynet citée par Le Monde. C’est une éponge et l’écologie est devenue son identité d’adoption".
À l’origine, le véritable cheval de bataille d’Eva Joly est la lutte contre la corruption. Elle y a consacré presque trente ans de sa vie, d’abord en tant que juge d’instruction au pôle financier du tribunal de Paris puis auprès du gouvernement norvégien.
Les hautes sphères politiques et financières gardent d’ailleurs un souvenir impérissable de sa carrière de magistrate. Son installation dans le bureau 128 du tribunal de Paris – une pièce minuscule et insalubre qu’elle partage avec son greffier – ne tarde pas à faire des vagues. Car Eva Joly n’a peur de rien, et surtout pas des puissants. Plus on la menace, plus elle fouille. L’opiniâtreté dont elle a fait preuve dans l’affaire Tapie, puis dans l’affaire Elf dans les années 90 a fait sortir de l’ombre cette franco-norvégienne aux yeux cerclés de lunettes rouges.
L’affaire Elf a transformé la vie d’Eva Joly
L’année 1993 marque un tournant pour la magistrate. Un nouveau dossier atterrit sur son bureau. Rien de très spectaculaire à première vue : une histoire de financement suspect d’une entreprise de textile. Ce genre d’affaire est plutôt banal dans les bureaux du pôle financier. Mais au fur et à mesure de l’instruction, Eva Joly (plus tard assistée de
Laurence Vichnievsky puis Renaud Van Ruymbeke) tire les fils d’un vaste réseau de corruption et de détournement de fonds impliquant le géant pétrolier Elf, un panel d’hommes politiques influents et de grands patrons. L’affaire aboutit à une pluie de condamnations, dont celles de Loïk Le Floch-Prigent et Alfred Sirven, respectivement numéro un et numéro deux du groupe Elf. Et conduit Roland Dumas à démissionner de la présidence du Conseil constitutionnel en 2000.
Durant les sept années et demie de l’instruction, la magistrate essuie coups bas et critiques assassines. Exposée aux médias, elle est accusée de violer les secrets de l’instruction, de s’acharner sur des innocents, de se mettre en scène. Rapidement,elle fait l'objet de sérieuses menaces. Un jour, elle retrouve sur sa porte de bureau une liste sur laquelle sont inscrits puis barrés des noms de juges assassinés. Le sien figure en bas. Il n’est pas encore barré. Plus tard, sa voiture est sabotée, les freins coupés. Le message est clair : on ne s’attaque pas impunément aux puissants. Entourée de gardes du corps pendant six ans, elle parvient pourtant à bout de l’affaire et acquiert une tenace réputation d’honnêteté et d’incorruptibilité.
Lutte contre la corruption
Epuisée par l’affaire, Eva Joly démissionne de la magistrature française en 2002 – où son caractère bien trempé lui a valu le surnom d’"Eva la diva" – et s’envole pour la Norvège. Elle y devient conseillère pour la lutte contre la corruption et la délinquance financière internationale auprès du gouvernement. "Je ne voulais laisser à personne les moyens et le temps de se venger", explique-t-elle dans son livre ‘La force qui nous manque’ paru en 2007.
Sa mission pour le gouvernement norvégien l’amène à voyager à travers le monde. Pendant sept ans, la France n’entend pratiquement plus parler d’elle. A part en 2003 où elle publie, aux côtés d'Antonio Di Pietro, juge italien à l’origine de l’opération mains propres, sa Déclaration de Paris, un programme de lutte contre la corruption pour "faciliter les enquêtes, juger efficacement les délinquants et prévenir des dérapages". Le texte n’est suivi d’aucune proposition politique. Alors sous la tutelle du gouvernement norvégien, elle crée Network, un réseau privé de juges et d'enquêteurs engagés dans la lutte contre la corruption, qui propose conseils et assistance à plusieurs pays en voie de développement.
Elle rentre en France en 2008, convaincue que seul un engagement politique pourra véritablement concrétiser son combat.
La politique, une suite logique
"J’ai été magistrate pendant 20 ans, diplomate pour la Norvège pendant sept autres années et j’ai fait du développement", énumère-t-elle le 8 février 2010, à la veille des régionales, sur l’antenne de France 24. "Je suis venue à la politique parce que j’ai compris les limites de l’action volontaire, et mêmes des actions positives du
développement. J’ai le désir très fort de modifier les rapports nord-sud. J’ai le désir très fort de modifier les rapports de force à l’intérieur de la société. Je brûle pour une société plus juste et plus solidaire".
Alors elle flirte un temps avec le Modem puis, en 2008, se laisse séduire par Daniel Cohn-Bendit, un ex-leader militant de Mai-68, qui l’entraîne dans l’aventure Europe Ecologie.
Aux élections européennes de juin 2009, la toute nouvelle formation politique cartonne, doublant le PS avec plus de 20 % des voix. Eva Joly, numéro deux sur la liste d’Ile de France, décroche un siège au Parlement européen. "Je suis une 'old bloomer' [une fleur tardive]", commente-t-elle tout sourire à l’issue du scrutin. Quelques semaines plus tard, première victoire : elle réussit à convaincre ses collègues de ne pas signer un accord de pêche entre l’Union européenne et la Guinée, pointant le danger d’allouer des fonds à un pays dirigé par un gouvernement putschiste militaire.
Depuis, elle n’a de cesse de critiquer la sphère politique française, n’hésitant pas à demander la démission du ministre des Finances Eric Woerth dès les premières heures de l’affaire Bettencourt, ou à taxer de "racisme d’État" la politique sécuritaire du président français.
Constamment sollicitée par les médias, courant les plateaux télé et les studios de radio, Eva Joly est, en deux ans, devenue une figure incontournable de la scène politique française.