logo

Les photos de l'ex-soldate israélienne ne sont que "la partie émergée de l'iceberg"

Au lendemain du tollé suscité par les photos d'une ex-militaire israélienne posant aux côtés de prisonniers palestiniens, l'association Breaking the Silence publie d'autres clichés éloquents de soldats de Tsahal en territoire palestinien.

L’armée israélienne choquée par les photos de l’ancienne militaire Eden Abargil ? L’association israélienne de défense des droits de l’Homme Breaking the Silence en doute. Car, selon elle, le "comportement honteux de la soldate" que l’armée israélienne s’est fait fort de dénoncer est loin d’être un cas isolé.

it
Le débat de France 24
Les photos de l'ex-soldate israélienne ne sont que "la partie émergée de l'iceberg"

L’organisation vient de publier sur Facebook une dizaine de photos sur lesquelles des soldats israéliens posent eux aussi devant des prisonniers palestiniens. Sur l’un de ces clichés, des soldats se mettent en scène devant le corps supplicié d’un homme ; sur une autre, un soldat s’allonge près d’un prisonnier, les poings liés et les yeux bandés. Des photos qui rappellent, parfois en pire, ceux d’Eden Abargil.

Lundi, l’ancienne sous-lieutenant de l’armée israélienne a provoqué une vive polémique en publiant sur Facebook un album photos intitulé "Armée… les meilleures années de ma vie". Sur les images, la jeune femme arbore un air moqueur et dominateur aux côtés de Palestiniens aux yeux bandés et aux mains attachées.

Le président de l’association Breaking the Silence, Yehuda Shaul, reste stupéfait par le tollé suscité par les photos de l’ex officier. Et par la réaction de l’armée israélienne, qui a soutenu qu’il ne s’agissait que d’un cas exceptionnel. "Cela fait six ans que nous montrons ce genre de photos, explique-t-il à france24.com. Nous avions organisé une exposition à Tel Aviv en 2004."

"Se prendre en photo devant les Palestiniens, c’est normal, pour ces soldats"

Depuis 2000, Breaking the Silence, créée par d’anciens militaires israéliens choqués par le comportement de l’armée dans les territoires palestiniens, collecte pour les besoins de son site Internet les témoignages filmés de soldats ou d’anciens soldats israéliens. À ce jour, l’organisation en a interviewé 730. "Nous disposons également d’environ un millier de photos. C’est de cette collection que nous avons tiré celles qui sont visibles sur notre compte Facebook, explique Yehuda Shaul. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg."

Pour le président de l’association, ces clichés reflètent la routine des soldats israéliens. "Les réactions de ces derniers jours prouvent bien que personne ne connaît la réalité de l’occupation, poursuit-il. Se prendre en photo devant les Palestiniens, c’est normal, pour ces soldats. Ce genre de comportement met en exergue le processus de corruption qu’ils subissent quand ils entrent dans l’armée israélienne." Et l’homme sait de quoi il parle, lui aussi est passé par là.

Breaking the Silence n’en est pas à son premier coup d’éclat. Au lendemain de raid israélien mené sur Gaza en décembre 2008 et janvier 2009, elle avait publié un rapport accablant pour Tsahal sur la base des témoignages de 25 soldats. L’un d’eux racontait alors : "La consigne était : dans le doute, tuez. On nous disait : ‘mieux vaut atteindre un innocent qu’hésiter à tuer un ennemi’."

Manque de recul et de maturité

Dans ce contexte, la réaction d’Eden Abargil après la polémique créée par ses photos s’explique mieux. Interrogée par la radio militaire israélienne mardi en fin de matinée, la jeune femme semblait tomber des nues. "Je ne comprends pas ce que j’ai fait de mal, il n’y a eu de ma part ni violence ni mépris, je n’ai porté atteinte à personne, estimait-elle. Je n’ai pas parlé avec les Palestiniens, je leur ai donné à boire et à manger et je ne leur ai pas dit qu’ils étaient photographiés. […] On voulait montrer des photos aux amis sur notre expérience dans l’armée. […] Je ne pensais pas que ça poserait autant de problèmes."

Pour Pascal Le Pautremat, spécialiste des crises et des conflits contemporains, cette attitude a deux origines : la jeunesse des soldats et la crainte d’une menace constante, propre à l’État hébreu. "L’armée israélienne est encore une armée de conscription, explique-t-il à france24.com. Souvent, ces jeunes appelés n’ont ni le recul ni la maturité pour mesurer leurs actes." En Israël, tous les jeunes âgés de 18 ans doivent faire leur service militaire. Il dure au minimum trois ans pour les hommes, 22 mois pour les femmes.

Lorsque l’armée israélienne forme ses soldats, elle leur fait visiter la forteresse de Massada, sur la pente est du désert de Judée. Du fort, il ne reste que quelques ruines qui sont pourtant un symbole pour Israël. En 73 après Jésus Christ, un millier de juifs, assiégés par les Romains, préférèrent se donner la mort plutôt que de se rendre à l’ennemi. "C’est le symbole de l’héroïsme national face à l’adversité", commente Pascal Le Pautremat. De cette forteresse est né un symbole, mais aussi un syndrome, le "syndrome de Massada". "Le peuple israélien, de par son histoire, a perpétuellement le sentiment d’être en sursis", résume le chercheur.

C’est exactement ce qu’a exprimé Eden Abargil, lors de son intervention à la radio : "De toute façon, on trouvera toujours à redire contre ‘Eretz Israël’ [la Terre d’Israël], nous ne sommes pas un peuple qui a beaucoup d’amis. On nous attaquera pour la moindre petite chose."

Compte tenu de la violence de certains propos, France 24 a décidé de désactiver la fonction "commentaires" sur cette page.