Alors que les relations diplomatiques colombo-vénézuéliennes sont rompues depuis le 22 juillet, les présidents des deux pays se rencontrent mardi pour renouer le contact. Avec quelles chances de succès ? L’avis de spécialistes de la région.
Un tête-à-tête entre les chefs d’État vénézuélien et colombien ? Impossible de l'imaginer il y a encore une semaine, tant l’animosité et les différences idéologiques étaient grandes entre Hugo Chavez, le président du Venezuela, et Alvaro Uribe, son homologue d’alors à Bogota. Mais la situation a changé, avec l’arrivée au pouvoir ce week-end du nouveau président colombien, Jose Manuel Santos.
Dès son discours d’investiture, ce dernier a souhaité un "dialogue" avec Caracas. Et
Hugo Chavez s’est montré plus qu’enthousiaste. "Je vais m’endormir heureux", a-t-il déclaré au sujet du sommet bilatéral qui se tiendra entre les deux hommes ce mardi dans le nord de la Colombie, à Santa Marta. La rencontre doit débuter à 12h30, heure locale (19h30, heure de Paris).
Les relations diplomatiques colombo-vénézuéliennes avaient été rompues le 22 juillet après qu’Alvaro Uribe a accusé le Venezuela d’héberger des combattants des Farc, les Forces armées révolutionnaires de Colombie. La tension existait depuis des années en raison de l’opposition idéologique entre les deux dirigeants, notamment en matière de politique régionale : le Venezuela est le plus farouche adversaire des États-Unis dans la région, la Colombie leur plus proche allié.
Des partenaires économiques
La rencontre marquera-t-elle une franche réconciliation ? Les avis des spécialistes divergent. Pour Bénédicte Baduel, économiste chez Natixis et spécialiste de l’Amérique latine, les deux voisins vont tout faire pour chercher à se réconcilier, notamment pour des raisons économiques.
"La période de tensions récentes semble avoir eu un impact négatif sur les relations économiques. En 2008, plus de 16 % des exportations colombiennes s’effectuaient en direction du Venezuela. Or, selon les dernières données dont je dispose, le chiffre serait tombé à 6 % en avril 2010".
"Malgré ceci, poursuit-elle, chacun a besoin de l’autre, les deux pays restent des partenaires importants. Le Venezuela demeure par exemple très dépendant de la Colombie pour ses importations de produits alimentaires." Elle estime en outre que "la situation de conflit n’est pas viable", qu’"aucun des deux n’a intérêt à hausser le ton car l’instabilité n’est pas bonne pour leur image, elle pourrait décourager les investisseurs étrangers dont les deux pays ont besoin."
Le contexte électoral au Venezuela
Deux circonstances favorisent le rapprochement de ces pays, ajoute de son côté Janette Habel, enseignante à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL). "D’abord, un nouveau président arrive, avec des déclarations modérées, alors que le contentieux entre Uribe et Chavez était très important". Autre circonstance favorable, selon elle : les élections législatives qui se tiennent au Venezuela le 26 septembre. "Dans ce contexte, Chavez a une raison politique de vouloir rétablir des relations, les électeurs ne sont pas contents de la situation car elle perturbe les relations économiques."
Ces mêmes élections, qui seront un test avant la présidentielle de 2012, pourraient
Le successeur d'Alvaro Uribe n'est autre que celui qui a été pendant trois ans le ministre de la Défense colombien. "Santos est certes plus nuancé que Uribe, mais ils ont beaucoup de points communs", analyse Eduardo Mackenzie, journaliste colombien en France et auteur du livre "Les Farc ou l’échec du communisme de combat". "Il connaît bien les Farc et je pense qu’il sera très ferme sur ce sujet".
"Si Chavez continue à nier la présence des Farc sur son territoire, ce qu’il risque de faire à mon avis, ça bloquera tout, les relations se refroidiront de nouveau", poursuit Eduardo Mackenzie, peu optimiste sur les chances de réconciliation, malgré l'arrivée d'un nouveau président.
toutefois avoir l’effet inverse. C’est en tout cas la théorie d’Olivier Compagnon, maître de conférences à l’IHEAL et rédacteur en chef des Cahiers de l’Amérique Latine. Pour lui, le conflit sera "subtilement réalimenté jusqu’aux élections" car il est une arme électorale pour Hugo Chavez.
"Il était en difficulté sur son bilan économique et avait besoin de remobiliser l’opinion autour de la désignation d’un ennemi commun. Comme il est difficile de s’en prendre à Obama, il a ressorti l’ennemi traditionnel, la Colombie." Pour lui, une réconciliation nécessiterait "un vrai geste de Santos", pour que "Chavez puisse apparaître en vainqueur" face aux électeurs. Difficile toutefois d’imaginer que Santos revenienne sur l’accusation faite à l’encontre du Venezuela d’héberger des membres des Farc, estime-t-il.
"Le conflit ne va pas se résoudre du lundi au mardi, c’est un processus long qui va durer des années car la question des Farc est très sensible", analyse quant à lui Pascal Drouhaut, chercheur associé à l’Institut Choiseul. "Le simple fait que cette rencontre au sommet ait lieu est très positif. Mais je pense que le mieux qui puisse sortir de cette réunion est un accord global sur un calendrier d’engagements."