
L'ancien directeur du centre de torture S-21 sous le régime des Khmers rouges, Kaing Guek Eav dit "Douch", a été condamné à 35 ans de prison après avoir été reconnu coupable de crimes contre l'humanité par le tribunal parrainé par les Nations unies.
"Douch" a été condamné à 35 ans de prison par le tribunal de Phnom Penh parrainé par l’ONU. L’ancien directeur de la prison S-21 de Phnom Penh, où 15 000 personnes ont été torturées et exécutées entre 1975 et 1979 sous le régime de Pol Pot, a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité.
La peine est inférieure à celle qu’avaient requise les procureurs du tribunal. En novembre 2009, ils avaient demandé 40 années d’emprisonnement à l’encontre de l’ancien cadre du régime. Poursuivi pour crime de guerre et crime contre l’humanité, il était passible de la perpétuité.
"La chambre a estimé qu'il y avait des facteurs atténuants importants", a commenté le président du tribunal avant d'annoncer le verdict. Il évoque notamment les remords exprimés par l'accusé lors de son procès, et sa coopération avec la cour. Une coopération qui pourrait s'avérer précieuse pour juger les quatre autres cadres khmers rouges emprisonnés à Phnom Penh.
L'ancien cadre du régime khmer rouge ne passera cependant que 30 ans en prison, sa détention par l'armée cambodgienne entre 1999 et 2007 a été jugée illégale.
À l'annonce du verdict, de nombreux cambodgiens ont éclaté en sanglots dans la salle d'audience. "Il n'y a pas de justice. Je voulais la prison à vie pour Douch", s'insurge Hing Sovath, dont le père a été tué au centre S-21.
Exécutions à coups de matraque
itEntre 1975 et 1979, "Douch" - de son vrai nom Kaing Guek Eav - tenait les rênes de la prison de Tuol Sleng, surnommée S-21, un ancien lycée de Phnom Penh transformé en camp de torture. Les anciennes salles de classe faisaient office de cellules ou de salles de torture. Des familles entières y étaient entassées, des milliers de personnes suppliciées.
Après la chute du régime de Pol Pot, d’innombrables documents expliquant en détail les rouages de la machine à tuer khmer rouge ont été récupérés. À S-21, des confessions manuscrites étaient arrachées aux détenus, accusés de travailler pour le compte des services secrets américains, russes ou vietnamiens. Les "traitres" étaient ensuite envoyés à Choeung Ek, un camp d’extermination situé à une vingtaine de kilomètres de la capitale cambodgienne. Entre 1974 et 1979, environ 17 000 personnes y ont été exécutées à coups de matraque.
Au cours du procès de "Douch", au printemps 2009, témoins et survivants ont défilé à la barre, témoignant des sévices infligés aux prisonniers. Ongles arrachés, brûlures, décharges électriques sur les parties génitales…
Un simple "rouage" de la machine khmer rouge ?
"On nous apprenait à fouetter les prisonniers avec des bâtons, à les électrocuter et à utiliser des sacs en plastique pour les asphyxier, témoigne notamment Prak Khan, un ancien fonctionnaire chargé de mener les interrogatoires au sein de S-21. Il fallait torturer les prisonniers tout en évitant qu’ils meurent ; car si c’était le cas, nous n’obtenions pas de confessions et nous étions punis."
À travers les témoignages, les expertises et les documents historiques le directeur du centre de torture apparaît comme un ex-bureaucrate zélé, soucieux de ne pas décevoir ses supérieurs et serviteur fidèle de l’utopie marxiste de Pol Pot.
Au cours de son procès, "Douch" s’est excusé à plusieurs reprises. Il a même admis sa responsabilité en tant que directeur du centre pour les 15 000 victimes de S-21. Mais il s’est appliqué à se présenter comme un simple "rouage" de la machine khmer rouge, arguant n’avoir ni torturé ni exécuté des prisonniers.
Un tribunal controversé
"Douch", est le premier responsable khmer rouge à être jugé par un tribunal reconnu internationalement. Ouvert en mars 2009, son procès a été émaillé d’incidents liés, entre autres, aux pressions politiques exercées sur la cour. Mi-cambodgienne mi-internationale, la juridiction est loin de faire l’unanimité dans le pays. Le Premier ministre Hun Sen a même accusé les juges étrangers de "recevoir des ordres de leurs gouvernements".
Sans pour autant partager cette analyse, François Ponchaud, le prêtre français qui a révélé le génocide au monde en 1977 grâce à son ouvrage "Cambodge, année zéro", estime qu’il s’agit d’un procès politique. "[Cette cour est] le tribunal de l’hypocrisie internationale : les pays de tous les juges [étrangers siégeant au tribunal de Phnom Penh] ont soutenu les Khmers rouges pendant 14 ans, rappelle-t-il au micro de Cyril Payen, envoyé spécial de FRANCE 24 au Cambodge. Qu’on juge les responsables khmers rouges, c’est bien, mais aujourd’hui, c’est beaucoup trop tard. C’est quand ils étaient au pouvoir qu’il fallait les accuser", conclut le prêtre, arrivé au Cambodge dans les années 1960.
Quatre autres cadres du "Kampuchéa démocratique" aujourd’hui détenus devraient être jugés par ce même tribunal en 2011. Le "frère numéro 1", Pol Pot, est mort d’une crise de paludisme en juin 1998, reclu dans une base rebelle dans le sud-est du Cambodge.