
La nouvelle présidente du CIO, Kirsty Coventry, s'exprime lors de la cérémonie de passation de pouvoir à la présidence du CIO à la Maison olympique à Lausanne, en Suisse, le 23 juin 2025. © Laurent Cipriani, AP
Les femmes transgenres seront-elles officiellement écartées des catégories féminines dès les Jeux olympiques de Los Angeles 2028 ? Si le Comité international olympique (CIO) ne l'a pas encore officiellement annoncé, de nombreuses sources s'attendent à ce qu'une telle interdiction entre en vigueur dans les six à douze prochains mois.
Des spéculations qui se sont intensifiées, lundi 10 novembre, après la publication d'un rapport indiquant que la directrice de la santé, de la médecine et des sciences du CIO, le Dr Jane Thornton, avait présenté la semaine dernière à ses membres une analyse scientifique démontrant qu'il existait des avantages physiques permanents à naître de sexe masculin.
Aussi, selon Sky News, le CIO plancherait sur l’instauration d’un test de vérification de sexe sur l’ensemble des disciplines avants les Jeux de 2028.
Sous la houlette de sa nouvelle présidente, Kirsty Coventry – ex-championne olympique zimbabwéenne de natation, qui avait elle-même clairement indiqué en juin qu'elle souhaitait mettre en œuvre sa promesse de campagne de protéger la catégorie féminine –, le CIO a décidé de prendre l'initiative de fixer les critères d'éligibilité pour la participation des athlètes transgenres aux JO, après avoir précédemment confié cette responsabilité aux fédérations sportives nationales, ce qui avait conduit à une mosaïque confuse d'approches différentes.
Un groupe de travail intitulé "Protection de la catégorie féminine", composé d'experts et de représentants des fédérations internationales, a été mis en place en septembre afin d'étudier la meilleure façon de protéger la catégorie féminine dans le sport.
"Le directeur de la santé, de la médecine et des sciences du CIO a fait le point sur la situation aux membres du comité la semaine dernière lors des réunions de la commission", a tempéré un porte-parole du CIO, précisant qu'aucune décision n'a encore été prise à ce stade.
Avant la prise de position de Kirsty Coventry en juin, le CIO avait longtemps refusé d'appliquer une règle universelle concernant la participation des personnes transgenres aux Jeux, demandant aux fédérations internationales en 2021 d'élaborer leurs propres directives. Selon les règles actuelles, toujours en vigueur, les athlètes transgenres sont autorisés à participer aux Jeux olympiques.
Mais les polémiques se sont multipliées sur le terrain même de la compétition, et l'initiative américaine d'imposer des règles restrictives avant Los Angeles 2028 accroît la pression pour une ligne claire et uniforme du CIO, lui-même engagé dans un virage conservateur interne.
Aux États-Unis, pays hôte 2028, un détonateur politique majeur
En juillet, prenant appui sur un décret signé par Donald Trump quelques mois plus tôt concernant le sport universitaire, le Comité olympique et paralympique américain (USOPC), ainsi que plusieurs fédérations nationales, ont durci leurs critères d'éligibilité en excluant les femmes transgenres – une femme née biologiquement garçon, ayant effectué une transition sociale, médicale et/ou hormonale – de nombreuses compétitions féminines, invoquant l'équité et la sécurité.
Une décision qui fait écho à un mouvement plus large : en trois ans, plus de 20 États américains ont adopté des lois bannissant les femmes transgenres des sports féminins scolaires ou universitaires.
À moins de trois ans des JO de Los Angeles, cette prise de position crée un précédent politique et sportif. Pour la première fois, un pays hôte affiche une ligne résolument restrictive en mesure d'influencer les débats internationaux.
En témoigne l'exemple de la nageuse transgenre Lia Thomas, qui avait concentré les débats en 2022 après ses victoires universitaires, devenant l'athlète transgenre la plus médiatisée des États-Unis. Sa présence sur les podiums a cristallisé un affrontement politique national, entre défenseurs de l'inclusion des athlètes transgenres dans les compétitions féminines de sport de haut niveau et partisans de leur exclusion.
Pour pouvoir concourir au sein de l'équipe féminine, Lia Thomas avait pourtant suivi un traitement hormonal de suppression de la testostérone pendant au moins un an, respectant ainsi la politique de la National Collegiate Athletic Association (NCAA) concernant les athlètes transgenres.
Mais World Aquatics (la fédération internationale de natation) a ensuite modifié sa politique en 2022, en interdisant l'accès des compétitions féminines aux athlètes ayant connu la puberté masculine, ce qui excluait de fait Lia Thomas des JO de Paris 2024.
Le décret présidentiel 14201 "Garder les hommes hors du sport féminin", signé par Donald Trump en février 2025 a renforcé cette ligne en redéfinissant le sexe biologique comme celui assigné à la naissance et en interdisant l'accès des femmes trans aux équipes féminines. Sous pression fédérale, l'université de Pennsylvanie (UPenn) – où nageait Lia Thomas – a annulé plusieurs de ses records, avant de s'engager à ne plus accepter de sportives transgenres dans ses équipes féminines en échange du rétablissement de ses subventions.
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Alors que les prochains JO auront lieu à Los Angeles, plusieurs observateurs estiment que le CIO navigue sous pression . L'institution doit défendre l'universalité des Jeux tout en tenant compte d'un pays hôte – par ailleurs le premier contributeur aux droits TV, premier marché de sponsoring, et pays où se trouvent plusieurs partenaires du CIO – où le sujet est devenu explosif, politiquement comme socialement.
Cela dit, la question de l'inclusion des athlètes transgenres s'est posée ces dernières années au-delà de la natation, et au-delà du sport américain.
Plusieurs fédérations ont en effet déjà modifié leurs règles afin d'interdire à toute personne ayant connu la puberté masculine de participer à des compétitions de haut niveau dans la catégorie féminine.
C'est notamment le cas de World Rugby, qui interdit aux athlètes transgenres de participer à des compétitions de haut niveau ; World Athletics, de son côté, n'autorise pas les athlètes transgenres ayant connu la puberté masculine à participer à des compétitions ; côté football, la Fifa n'a pas encore annoncé de nouvelle politique, mais certaines associations individuelles, dont la Fédération anglaise de football (FA), ont unilatéralement interdit aux joueurs transgenres de participer à des compétitions féminines.
Mais de Tokyo à Paris, de l'haltérophilie à l'athlétisme, plusieurs disciplines ont déjà vu concourir aux Jeux olympiques – parfois pour la première fois – des femmes transgenres où des sportives intersexes (qui leur sont souvent amalgamées), suscitant débats et controverses bien avant que le CIO n'envisage une règle unique.
Des athlètes qui ont ravivé le débat sur la catégorie féminine
Ces dernières années, plusieurs athlètes ont cristallisé les tensions autour de la catégorie féminine, parfois au prix d’un amalgame persistant entre deux réalités très différentes : les sportives transgenres (ayant effectué une transition), et les athlètes dites "DSD" (Disorders of sex development), ou "intersexes", dont les caractéristiques sexuelles naturelles ne correspondent pas strictement aux normes médicales établies.
Pourtant, leurs situations juridiques, physiologiques et sportives ne relèvent pas des mêmes règles, même si elles sont souvent prises dans la même tempête médiatique.
En 2021, aux JO de Tokyo, Laurel Hubbard est devenue la première haltérophile transgenre à concourir aux JO, suscitant une vague mondiale de critiques malgré son élimination précoce. Dans le même temps, la footballeuse canadienne Quinn, personne transgenre non binaire, a remporté la médaille d’or avec son équipe, devenant la première athlète ouvertement trans à décrocher un titre olympique. Deux profils très différents, mais dont la simple présence a suffi à relancer un débat que le CIO avait tenté d’encadrer par ses lignes directrices de 2021.
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La sprinteuse italienne Valentina Petrillo a été, en 2024, la première athlète transgenre à participer aux Jeux paralympiques, à Paris, avec l'espoir d'être "la première de beaucoup d'autres".
À côté d’elles, les athlètes intersexes – déclarées de sexe féminin à la naissance mais qui ont des chromosomes masculins et des niveaux de testostérone masculins – ont souvent été prises à tort dans la même controverse.
La Sud-Africaine Caster Semenya, double championne olympique du 800 m, a été empêchée de participer à son épreuve de prédilection en raison de réglementations imposant une baisse de son taux de testostérone, alors même qu’elle n’est pas transgenre.
Lors des JO de Paris 2024, la boxeuse algérienne Imane Khelif, accusée à tort d’être transgenre, a illustré la violence de cette confusion : un athlète peut aujourd’hui être publiquement soupçonné, voire humilié, sur la base de caractéristiques biologiques dont il n’a parfois lui-même pas connaissance.
En 2023, la boxeuse avait été disqualifiée des championnats du monde féminins de boxe amateur par l'International Boxing Association (IBA) sur des "critères de sexe" opaques, provoquant un tollé et révélant l’absence de protocole scientifique unifié entre les fédérations.
Dans ce climat où les catégories transgenres et intersexes sont souvent confondues, les discussions actuelles au CIO suscitent d’autant plus d’inquiétudes. Un durcissement généralisé risquerait d’affecter indistinctement des profils radicalement différents, au nom d’une même logique de "protection de l’équité", sans distinction de trajectoires, de situations médicales ou de droits fondamentaux.
Après des années de flou et de polémiques, à l'approche des Jeux de Los Angeles, où la législation américaine sur la participation des athlètes transgenres s'est nettement durcie, le CIO promet de "protéger la catégorie féminine". Mais si une interdiction universelle était adoptée, elle ouvrirait une nouvelle ère : celle où les Jeux devront arbitrer non seulement des performances, mais aussi des identités.
